Le spot réalisé par Romain Gavras, tourné à Venise et mettant en scène le mannequin Arizona Muse et la star David Bowie, a nécessité un luxe de moyens pour son tournage. Making of.

1. Des mystères de Paris à ceux de Venise. «Nous ouvrons sur un plan large de la place Saint-Marc. Crépuscule. Heure magique. L'architecture ornementée pointe dans un ciel magenta. Un brouillard de basse altitude est suspendu au-dessus des pavés, une présence spectrale flotte sur ​​la place. Le glas de la tour de l'horloge rompt le silence. Un groupe de pigeons s'envole. Un grand ballon à air chaud commence à descendre dans le carré. Le propane brûle brillamment dans le ciel.» Ainsi débute l'histoire de «L'Invitation au voyage». En réalité, il s'agit d'une suite, celle d'une journée terminée dans la cour carrée du Louvre pour la mannequin Arizona Muse. Le premier chapitre était sorti en novembre 2012. Un an plus tard, Louis Vuitton veut, cette fois, mettre au centre de son propos son sac Vivienne et emmène, pour cela, son héroïne pour un voyage en montgolfière de Paris à Venise. Dans son story-board, le réalisateur Romain Gavras détaille le scénario du film à venir, qui ne sera pas très différent de la réalisation finale. Les principaux ingrédients sont déjà là: la cité italienne, ses canaux, ses bals masqués et la brume de la lagune. Deux personnages principaux: Arizona Muse et David Bowie. Une atmosphère propice à une histoire d'amour fugitive. Mais sommes-nous devant un court-métrage, une publicité ou un clip? Avec plus de 33 millions de vues à ce jour sur You Tube, la campagne se serait soldée par une augmentation des ventes de 17% pour les produits exposés.

 

2. Un tournage dantesque. Du 24 au 28 juin, le tournage du film prend place à Venise. Aux manettes, on retrouve la maison Vuitton, l'agence BETC et la société de production Iconoclast. Au total, 350 personnes seront mobilisées pour ce tournage. Rien que l'éclairage de la place Saint-Marc aura nécessité une centaine de personnes. David Bowie a passé huit jours sur place, mais la star n'apparaît pas distinctement dans le making of du film. Avant la prestation du chanteur devant les caméras, l'équipe a en fait répété avec une doublure. Le choix de l'artiste pour le film n'était pas une évidence, au départ. «Nous avions d'abord pensé aux Daft Punk, mais ceux-ci sont apparus chez Saint Laurent au printemps. En icônes inatteignables, restaient les Stones, mais ils s'étaient reformés, donc cela ne tombait pas bien non plus. Puis l'idée de Bowie s'est imposée», raconte Fabrice Brovelli, directeur général de BETC, en charge de la production TV. Il faut dire qu'à part un spot pour Vittel en 2003, l'image de l'artiste – à la différence de sa musique – n'a pas été surexploitée en publicité. A l'époque, ses précédentes contributions dataient déjà des années 1980, pour Pepsi aux États-Unis et pour une marque de saké au Japon. A soixante-six ans, David Bowie n'a pas hésité très longtemps pour dire «oui» à Vuitton, qui prolonge ainsi son histoire avec les célébrités. Mais combien peut coûter une telle égérie? Dans Les Echos, Maxime Saada, directeur général adjoint de Canal+, imagine ce cachet au moins aussi gros que les 7 millions de dollars de Brad Pitt pour Chanel…

 

3. Entre Eyes Wide Shut et Labyrinth. En 1951, le décorateur Charles de Beistegui donnait en sa riche demeure vénitienne, le palais Labia, le plus fameux bal costumé du XXe siècle appelé depuis le «Bal du siècle». C'est la source d'inspiration du grand bal masqué reconstitué dans «L'Invitation au voyage». Plus de 150 figurants vont être maquillés et coiffés pour donner l'illusion d'une des plus grandes fêtes dont seule La Sérénissime a le secret. «J'ai eu plus de caprices à gérer du côté des coiffeurs et maquilleurs que de celui des égéries», se souvient en souriant Fabrice Brovelli, de BETC. De nombreux figurants à qui, pour plus d'un tiers, il faut apprendre à danser en cadence… Côté cinématographique, les références des scènes de bal sont à chercher du côté des soirées d'Eyes Wide Shut, de Stanley Kubrick, mais surtout d'un autre film culte, Labyrinth, réalisé par Jim Henson et sorti en 1986, dans lequel David Bowie jouait, et qui comporte une scène très proche du film Louis Vuitton. Des univers décadents, oniriques et orgiesques qui ne sont pas pour déplaire à Bowie comme il l'a prouvé, en mai, dans son clip «The Next Day», avec Gary Oldman et Marion Cotillard. La version publicitaire de ces inspirations est logiquement beaucoup plus «soft»: en pleine commedia dell'arte, Arizona Muse et David Bowie s'attirent immédiatement du regard au milieu de cette foule de convives. «Nous n'avons pas fait de David Bowie un “portemanteau”, estime Fabrice Brovelli. Il apparaît, joue au clavecin, chante puis disparaît. C'est un personnage avec une histoire.»

 

4. L'icône Bowie au clavecin. Autre apport de la star anglaise au court-métrage Vuitton, sa musique. Dans le spot résonne en effet une version réorchestrée pour clavecin du titre I'd Rather be High, issu de «The Next Day», son album sorti en mars. Un travail d'adaptation musicale supervisé par l'agence BETC Music a été nécessaire. «J'avais très peur du rendu mais, au final, Bowie a dû trouver le résultat pas si mal car il a intégré cette version clavecin de son titre dans une édition de luxe de son album, récemment sortieCertains commentaires de fans sur la Toile ont même trouvé cette version, intitulée Venetian Mix, plus «bowiesque» que l'original… Dans une vidéo, l'artiste a par ailleurs accolé au morceau des images de la Première Guerre mondiale. Comme souvent lorsque la musique et l'image sont autant en symbiose, l'idée de visionner un clip plutôt qu'un spot traverse l'esprit. Ici, cette impression est évidemment renforcée par la présence de Bowie lui-même. «L'Invitation au voyage » ou un nouveau clip de la star, en l'occurrence plus lisse et donc décevant? Qu'importe, l'icône surnage depuis longtemps au-dessus de ce genre d'état d'âme. Du côté de la publicité, si celle-ci frôlait plus souvent la sphère artistique, elle ne s'en porterait peut-être que mieux.

 

5. Romain Gavras, talent «made in France» derrière la caméra. Le temps du tournage vénitien, une complicité se serait nouée entre Romain Gavras et David Bowie, celui-ci se montrant très curieux envers le jeune réalisateur français. Talent incontournable de la société de production Iconoclast, Romain Gavras enchaîne en effet les plus grosses productions publicitaires de ces derniers mois. Après Dior et Louis Vuitton donc, il vient tout juste de tourner un nouveau film Saint Laurent aux Etats-Unis. Fils du célèbre réalisateur Costa-Gavras (une vingtaine de films, dont Z et L'Aveu), Romain Gavras s'est d'abord fait connaître par des clips controversés, comme «Stress» pour Justice et «Born Free» pour M.I.A. Cette provocation a pourtant attiré nombre de marques de luxe, au contenu publicitaire souvent lisse. «Romain Gavras, je le vois dans la droite lignée des talents français qui s'exportent, comme le groupe de musique Phoenix ou le réalisateur Michel Gondry. Des artistes reconnus aux Etats-Unis, mais qui souffrent de ce que j'appellerais un “décalage français” vis-à-vis de leur reconnaissance dans leur propre pays», estime Fabrice Brovelli. A trente-deux ans, autant dire qu'un boulevard créatif s'offre au jeune réalisateur. Nul doute que d'autres histoires vont certainement très vite s'écrire avec Romain Gavras.

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