marketing sportif
L’arrivée de joueurs de classe mondiale dans le championnat de France de football va doper les ventes de maillot. Des tuniques chargées de symboles et de significations identitaires, à manier avec précaution.

«Pour avoir de bons produits de divertissement, il faut de bons héros, souligne Virgile Caillet, directeur de l'institut d'études Kantar Sport. Sous cette perspective, Zlatan Ibrahimovic est un bon acteur.» Le joueur suédois du Paris Saint-Germain (PSG) est l'une de ces vedettes du football mondial qui portent désormais les maillots de clubs français. L'Uruguayen Edinson Cavani (PSG) et le Colombien Radamel Falcao (Monaco) sont d'autres emblématiques représentants depuis l'été 2013.

Initiée par le projet de Qatar Sport Investments au PSG, l'arrivée de grandes stars dans le championnat français s'est en effet accélérée avec la remontée de l'AS Monaco et de son richissime propriétaire russe Dmitri Rybolovlev en ligue 1 (L1). Cela ne sera pas sans effet sur les produits dérivés. «Les maillots sont les produits phares du merchandising de notre club», estime Mathias Icard, directeur des ventes du club monégasque.

Les tuniques sont aussi devenues des pièces maîtresses de la catégorie sportswear. Elles ont abandonné leurs formes informes pour des coupes ajustées (lire l'encadré) et connaissent un succès grandissant dans l'Hexagone. Ludovic Lestrelin, sociologue du sport et maître de conférence à l'université de Caen, parle de «consommation de symboles» à ce sujet. «La consommation nourrit l'identification et la passion», glisse-t-il.

Lors de la saison 2012-2013, le PSG a vendu quelque 400 000 maillots, soit une croissance d'environ 60% par rapport à la saison précédente. Le club de la capitale table sur une croissance de plus de 30%, pour atteindre 520 000 maillots en 2013-2014. Un cas d'école d'une tendance plus générale.

«Nous prévoyons une augmentation des ventes de maillots des clubs phares du championnat français – Lyon, Marseille, Monaco et PSG – à court ou moyen terme, explique Pierre-Emmanuel Davin, directeur de Repucom en France, institut d'études spécialisé dans le sport. Pour donner un ordre de grandeur, on pourrait estimer cette hausse à environ 10%. La venue de joueurs stars, les résultats sportifs qu'on peut en attendre, notamment en Coupe d'Europe, et l'exposition plus grande de la Ligue 1 en France et à l'étranger constituent les principales raisons de cette tendance.»

Selon les derniers chiffres de Repucom, il s'est vendu plus d'un million de maillots des clubs de L1 en 2011-2012. «Les ventes de maillots de la L1 [en France et à l'étranger] ont progressé de 17% en volume depuis la saison 2007-2008, observe Pierre-Emmanuel Davin. La L1 n'est cependant pas au niveau de la Premier League anglaise [cinq fois plus de maillots vendus], de la Liga espagnole ou de la Bundesliga allemande.»

Trois jeux de maillots

Quel est le véritable poids des joueurs vedettes dans la vente de maillots? «Zlatan Ibrahimovic et Radamel Falcao sont des “mégastars” qui joueront le rôle d'accélérateurs de la vente de produits dérivés, pense Virgile Caillet. Depuis juillet 2013, nous avons mesuré près de 20 000 retombées plurimédias dues au joueur suédois. Il est tout le temps dans les médias et donc au quotidien avec les Français. C'est une bête médiatique qui va au-delà de la sphère sportive, on pourrait presque parler de phénomène de société.»

Joueur du Paris Saint-Germain de janvier à juin 2013, David Beckham a été un cas à part dans le championnat de France. Avec Zlatan Ibrahimovic, il aura été le joueur du PSG qui a fait vendre le plus de maillots, selon une information du Figaro. «David Beckham était le parfait trait d'union entre les projets marketing et sportif du PSG», considère Virgile Caillet. Icône de mode, le milieu de terrain anglais correspondait à merveille à l'orientation «sportswear» des tuniques de football.

Dans les grands clubs, il n'y a pas un maillot unique, mais trois jeux. On peut parler de minicollection puisque les pièces qui la composent forment un tout cohérent. Le premier jeu concerne les maillots utilisés par l'équipe à domicile (dans son stade) et c'est le produit de référence. «Deux-tiers des maillots vendus en Europe sont les tuniques utilisées à domicile par les clubs», précise Pierre-Emmanuel Davin.

Le deuxième jeu est porté à l'extérieur (en déplacement), tandis que le troisième jeu est porté lors des matchs de Coupe d'Europe ou de gala. Ce dernier jeu laisse souvent place à l'innovation (lire l'encadré)… ou aux opérations de marketing. Le troisième maillot de la saison 2012-2013 de l'Olympique de Marseille (OM), dont les couleurs traditionnelles sont ciel et blanc, était orange en référence à l'un de ses groupes de supporters, les South Winners. Un geste que ces derniers ont largement relayé sur Internet.

Les couleurs sont un des points essentiels des maillots. Pour l'historien Michel Pastoureau, un match de football est ainsi un rituel de la couleur. «Les symboles qui caractérisent le patrimoine d'un club font référence à ce qui permet de l'incarner, ce qui en traduit l'identité et la continuité, explique Ludovic Lestrelin. C'est-à-dire en particulier le stade, le blason et les couleurs. Le support qui permet de matérialiser celles-ci est le maillot, ce que véhicule l'expression “on s'habille à nos couleurs”. L'attachement à la couleur est très fort, d'autant qu'elle contribue aux processus d'affiliation – elle permet de s'identifier – et de rejet – elle distingue du club adverse.»

La tunique de l'AS Monaco illustre cette analyse. «Notre particularité est d'être le club d'un Etat et pas d'une ville, indique Mathias Icard. Notre maillot, avec sa diagonale rouge et blanc, représente l'identité de Monaco, il ne change pas. Nous nous attachons à la pérennité de notre image.»

Des acheteurs parfois peu intéressés par le foot

La sensibilité des supporters aux tuniques et à leurs couleurs est grande. «Toute la difficulté est d'“événementialiser” les maillots sans les dénaturer afin de ne pas provoquer la colère des supporters, constate Virgile Caillet. Nike a testé le nouveau maillot du PSG auprès de groupes de consommateurs et l'a présenté d'abord aux joueurs, pour éviter les risques de rejet.»

Si les maillots demeurent un attribut pour le cœur de cible (les supporters) avant tout, ils ne sont pas achetés par une masse de consommateurs indifférenciée. Certaines ventes sont réalisées auprès de personnes qui ne s'intéressent pas ou peu au football. «Dans des moments de très grands enjeux, les gens peuvent acheter un maillot pour faire partie de la fête, rappelle Ludovic Lestrelin. C'est arrivé à l'US Quevilly lorsque celui-ci est arrivé en finale de la Coupe de France en 2012.»

A l'inverse, de fervents supporters n'achèteront pas le nouveau maillot de leur équipe pour des raisons idéologiques. «Les groupes de supporters ultras développent une activité autonome et refusent le statut de fans ou de “groupies”, note Ludovic Lestrelin. De leur point de vue critique sur la marchandisation du football, être un consommateur frénétique de maillots est déconsidéré.»

Il existe aussi de nettes différences entre l'Hexagone et les pays voisins. «En France, la culture du football n'est pas très développée, à l'inverse de l'Angleterre où les gens portent le maillot de leur club fétiche dans la vie quotidienne sans que personne ne s'en émeuve», observe Ludovic Lestrelin.

Rôle majeur de l'équipementier

Parmi les techniques marketing employées par les clubs figurent celles de la personnalisation et de la «customisation». Les amateurs peuvent ainsi acheter une tunique floquée à leur nom avec leur année de naissance en guise de numéro ou bien une réplique exacte de celle de leur joueur favori. «La personnalisation des maillots avec des symboles est une manière de flatter l'individu dans sa différence et sa singularité», analyse Ludovic Lestrelin.

Si le prix moyen des maillots en France oscille autour de 71,20 euros d'après Repucom (75 euros pour le maillot de Monaco et 85 euros pour celui du PSG en 2013-2014), chaque élément identitaire (un nom, un numéro, un sponsor) ou symbolique (un blason, un badge) rajouté au maillot «nu» se paye au prix fort. «La customisation est un procédé efficace dans un univers de passion, car des logiques individuelles et collectives à la fois sont à l'œuvre, relève Ludovic Lestrelin. C'est une sorte de dialectique entre l'aspiration à faire partie d'une communauté de supporters et une volonté de singularisation.»

L'achat d'un maillot d'une star coûte ainsi plus d'argent. Il faut compter 110 euros pour le maillot de Zlatan Ibrahimovic au PSG avec son nom, son numéro 10 et le badge de champion de L1, 98 euros pour celui de Mathieu Valbuena (OM) avec son numéro 28 et le badge L1. Des éditions vintage ou des séries limitées complètent la panoplie marketing (lire l'encadré).

Dans la vente de tuniques, l'équipementier du club joue un rôle majeur. «Les maillots et leurs principaux enjeux financiers sont entre les mains des équipementiers», juge Christophe Bouchet, président de l'OM entre 2002 et 2004 et ancien journaliste, aujourd'hui consultant. Aux yeux du grand public, c'est pourtant la «marque» du club qui prime. La saison dernière, Liverpool est ainsi passé d'Adidas à Warrior sans que la fameuse tunique rouge ne soit boudée.

«La vente de maillots est structurée par un cycle marketing très long, de plus de dix ans, contrairement à ce que l'omniprésence du football dans les médias peut laisser penser, analyse Christophe Bouchet. La valeur d'un club en tant que marque dépend de son palmarès, auquel s'agrègent des valeurs d'esthétisme, de bravoure ou d'identification à un territoire. Le Paris Saint-Germain aimerait vendre autant de maillots que le FC Barcelone ou le Real Madrid, mais il n'y parviendra qu'après avoir gagné trois Champion's League et cinq championnats de France.»

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