Marketing
Bernard Cova, professeur de marketing à Kedge Business School, explique dans son essai « La vie sociale des marques » (Editions EMS) comment elles intègrent la société. Y compris et surtout du point de vue du langage.

« Nous sommes entrés dans une ère où, lorsqu’on n’arrive pas à désigner une action ou un sentiment, la solution est d’utiliser des verbes de marque. Dès qu’on lance une recherche sur Internet, désormais on utilise le terme « Googler ». Lorsqu’il s’agit d’un appel vidéo, on dit alors que l’on « se Skype ». Sans parler des termes « Tweeter », « Facebooker », « Facetimer », « Instagramer »…

Tout se passe comme si nos actions étaient « marquées » même si on n’est pas soi-même client ou usager des marques en question. Les marques s’inscrivent, de cette manière, indirectement dans nos vies quotidiennes.

Communiquer sans dépenser

Bien sûr, pour avoir une telle influence dans la société et sur le langage, il faut se trouver dans la catégorie des marques iconiques ou, tout du moins, cultes. Des marques qui fédèrent des communautés et qui sont capables de regrouper des aficionados. Ainsi, pour les fans de guitares, par exemple, il existe deux mondes : ceux qui ne jurent que par Fender et les partisans de Gibson.

Pour ces marques, dans bien des cas, le consommateur devient un communicant. On parle même de « marketeur à temps partiel ». Prenons les fans de Nutella : ils ont décidé de consacrer le 5 février à cette pâte à tartiner, jour où l’on fête le « World Nutella Day » [journée mondiale du Nutella]. Ferrero, le propriétaire de Nutella, a vu en cette initiative - une fête de sa marque -, une opportunité de communiquer sans rien dépenser...

Finalement, ces phénomènes démontrent que les marques sont devenues des entités indépendantes, elles ont un pouvoir que les gestionnaires de la marque n’ont plus. L'existence de la marque se passe de moins en moins sur le marché et de plus en plus au sein de la société.

Mais il existe un revers à tout cela. Au travers de ces dix années d’observation et d’immersion, j’ai remarqué que cette vie trop « marquée » nous coupait de plus en plus de la réalité naturelle. En disant cela, je ne porte aucun jugement, j’adopte seulement un regard ethnosociologique.

Se démarquer

In fine, j’entrevois deux possibilités de résistance à la trop grande présence de la marque dans nos vies quotidiennes. Premièrement, retrouver l’entraide entre individus, plutôt que de se reporter aux offres du marché et aux produits de marque. Autre vecteur possible, ce que j’appelle l’ « autoproduction accompagnée ». À force d’être passionnés de marques, les individus perdent les compétences du quotidien, comme celles de prise en charge d’autres personnes (les seniors par exemple) ou de cultiver un potager… Il serait bénéfique que les gens cessent de se reposer sur les marques et leurs offres sans cesse renouvelées et qu’ils réapprennent à produire par eux-mêmes. On peut ainsi essayer de résister, du moins un peu, même si j’ai conscience que nous sommes dans une société de marques et que les phénomènes évoqués dans cet ouvrage vont se multiplier ».

Le prof

Bernard Cova est professeur de sociologie de la consommation et de marketing à Kedge Business School Marseille. Il est également enseignant à l’université de Bocconi à Milan depuis 2000. Dès les années 1990, ses travaux se sont portés sur les approches sociétales de la consommation, posant ainsi les bases des développements actuels sur le rôle du marché et des marques dans la construction identitaire de nos contemporains. Ses recherches se tournent aussi vers le marketing B2B. Des compagnies telles qu'Areva, Dassault et Bouygues ont collaboré avec lui sur des programmes de recherche. 

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