Cosmétiques
Neuf mois après le rachat de 41 marques, le nouveau numéro un mondial des parfums apprend à intégrer les équipes et repense sa culture d'entreprise.

C'est la mégafusion dans le monde de la beauté de ces dernières années: le rachat des marques de parfums et cosmétiques de Procter & Gamble par Coty a été finalisé le 3 octobre dernier. Prévu sur 43 marques pour un total de 12,5 milliards de dollars, il en a finalement concerné 41: Dolce & Gabbana a préféré rejoindre le groupe Shiseido et les parfums Christina Aguilera ont été repris par Elizabeth Arden. Pour le reste, Coty a récupéré les licences Gucci, Hugo Boss, Lacoste, Alexander McQueen, le maquillage Max Factor, les produits capillaires Wella… Autant de références qui se sont ajoutées au portefeuille du groupe coté à la Bourse de New York, comprenant déjà Calvin Klein, Chloé, Marc Jacobs, Balenciaga, David Beckham, Céline Dion, OPI, Lancaster, Rimmel, Bourjois (racheté en 2015 à Chanel)… Et sa fièvre acheteuse ne s'est pas arrêtée là puisque l'entreprise a depuis récupéré la licence Burberry Beauty, les lisseurs GHD et 60 % de la plateforme de vente en ligne Younique. Coty a ainsi doublé son chiffre d'affaires, à 9 milliards de dollars (8 milliards d'euros), passant au troisième rang mondial de la beauté et à la première place pour les parfums. Son P.-D.G. est Camillo Pane, chez Coty depuis juillet 2015. De son côté, Procter & Gamble, géant de 83 milliards de dollars (74,3 milliards d'euros), se concentre sur ses marques d'hygiène plus rentables et moins soumises à la conjoncture, les couches Pampers, la lessive Tide ou les rasoirs Gillette.

Nouvelle identité.

Pour symboliser cette métamorphose, Coty a choisi une identité en forme de papillon, conçue avec l'agence de Londres The Workroom et une signature, «Beauty, liberated». Plutôt qu'une organisation par catégories de produits (parfum, maquillage, soin), le groupe a mis en place trois divisions selon le circuit de distribution: Consumer Beauty pour les produits de grande distribution (4,4 Md $), Luxury dédié au sélectif, parfumeries, grands magasins et travel retail (3 Md $) et Professional Beauty pour les produits vendus en salons de coiffure (1,8 Md $). Le siège du groupe s'est recentré de New York à Londres et, fait rare pour une multinationale, le siège mondial de la division Luxe s'est établi à Paris (le Japonais Shiseido a fait le même choix pour ses parfums). En France, la fusion nécessitait concrètement d'accueillir les équipes de Procter & Gamble venues d'Asnières dans le cœur de Paris, avec une organisation au millimètre. «Je n'ai su que le 30 septembre que le rachat était confirmé, explique Julien Wintenberger, responsable de la communication corporate de Coty Luxury France, lui-même issu de P & G. On avait même prévu un plan B au cas où l'accord ne se ferait pas. Le lundi 3 octobre a été décrété le premier jour du reste de notre vie professionnelle. Symboliquement, les salariés ont troqué leur ancien badge pour le nouveau, ils ont assisté à la révélation du nouveau logo et ont vécu en direct l'ouverture de la Bourse de New York par Coty dans l'après-midi.»

Si Procter & Gamble est réputé pour son organisation rationnelle et sa recherche de pointe qui permettait les synergies entre la lessive et les fragrances, Coty se distinguait par une image plus créative. Mais les multiples rachats effectués ces dernières années en faisaient un agrégat de marques plus qu'un véritable ensemble cohérent. La fusion a été l'occasion d'une réflexion sur son identité. «Nous sommes un groupe d'entrepreneurs, non seulement François Coty qui l'a fondé en 1904 mais aussi Max Factor qui a inventé le terme de make-up, Eugène Rimmel qui a formulé le premier mascara non toxique, Sally Hansen, pionnière dans le soin des ongles», rappelle Julien Wintenberger. Coty a créé un département Patrimoine et archives, s'est associé pour trois ans au Grand Musée du parfum à Paris et participe à l'exposition Perfume qui vient d'ouvrir à Londres. «Les jeunes salariés ignoraient qui était François Coty, qui fut à l'origine de la parfumerie moderne, souligne Julien Wintenberger. C'est pourquoi lors de la première fête de Noël en commun, nous avons reconstitué sa maison dans le bâtiment historique de la rue du Quatre-Septembre. Chez Procter & Gamble, il y a cette culture du patrimoine, toutes les embauches commencent par un voyage à Cincinnati, le siège historique. Quand on travaille dans le luxe et la beauté, il est particulièrement important d'avoir une notion d'héritage. On va de l'avant mais on garde ce fil rouge, pour montrer que nous ne sommes pas que le résultat de fusions acquisitions.»

Cohésion.

Parmi les autres initiatives pour fédérer les équipes, une newsletter interne, des forums d'échange avec les trois dirigeants des divisions, des académies marketing pour partager les expériences, des sessions de formation par exemple sur les produits capillaires qui n'existaient pas chez Coty… Ceux-ci, qui pesaient à peine 2,5 % du chiffre d'affaires de P & G, ont tout à gagner à intégrer un groupe 100 % beauté. La gamme Wella était ainsi présente au salon des youtubeuses Get Beauty début juin à Paris, aux côtés de Rimmel et OPI et les sessions de formation auprès des coiffeurs sont l'occasion de leur glisser un rouge à lèvres Bourjois. Pour créer un esprit d'équipe, les salariés sont impliqués dans le nouveau design de l'intranet ou encore dans le choix de la cause à soutenir dans le cadre de la politique RSE. «On tient à conserver un esprit de challenger, précise Julien Wintenberger. Par rapport à Procter & Gamble où l'international validait toutes les décisions, on confie davantage de responsabilités aux marchés locaux, ce qui est plus adapté par exemple à une marque comme Rimmel qui conçoit des campagnes créatives avec son égérie Cara Delevingne.» Effectivement, on est loin des couches et des lessives.

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