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Le programmatique gagne du terrain dans la publicité, et ce n’en est que le début, prédit Vincent Balusseau, enseignant à Audencia, qui prépare un ouvrage sur l’adtech. Mais la technologie ne fait pas que résoudre des problèmes, elle en crée aussi.

«Albert a pris le pouvoir! Récemment, la marque Dole (jus de fruits), aux Philippines, a confié à une intelligence artificielle, baptisée Albert, l’optimisation d’une campagne digitale. Les résultats ont été bluffants: 87% de hausse des ventes en magasin et un gain de 60 000 fans pour la marque sur Facebook, rapporte un article de Campaign. Quand on laisse faire la machine, les résultats dépassent ceux des humains. Le machine learning dans l’exécution des campagnes, ça fonctionne: cela permet d’automatiser les processus d'optimisation et d’obtenir des coûts d’acquisition inférieurs. La promesse fondamentale de l’adtech et du programmatique, c’est le ROI [retour sur investissement]. Plus on nous promet la convergence entre les mondes du CRM [gestion de la relation client] et de la publicité, adaptée à l’individu, plus on va scruter le ROI campagne par campagne, activation par activation. Mais plus on nous promet de l’efficacité, plus il faut ajouter de nouvelles briques adtech, et donc un intermédiaire supplémentaire et des commissions en sus, notamment l’«adverification». Or, les annonceurs qui ont investi dans l’achat programmatique veulent de l’efficacité et ne tolèrent plus aucun gaspillage.

«Des promesses irréalisables»

Et puis l’on découvre de nouveaux problèmes liés au programmatique ou amplifiés par lui: l’«adblocking», la fraude, la «brand-safety»… Sans oublier le manque de transparence des acteurs, en particulier des agences médias. Il y aussi le problème de la visibilité: 50% seulement des créations seraient visibles en display. Certaines promesses de l’adtech semblent irréalisables: l’identification parfaite des individus en cross-canal ou cross-device se heurte à des barrières techniques, réglementaires et culturelles. Le fameux CRM «on boarding», lui, ne parvient en moyenne qu’à toucher 30 à 40% d’une base de contacts. Il y a aussi des limites au reciblage: les consommateurs sont trop exposés et souvent, trop tard, après leur achat. Piloter le «caping», la fréquence d’exposition médias, à l’échelle de l’individu sur l’ensemble des canaux reste très compliqué. Du coup, il faut probablement arrêter de «surpromettre» la publicité au bon moment, à la bonne personne et au bon endroit.

«L'adtech doit faire son storytelling»

L’adtech, avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, constitue la plus importante mutation de la publicité depuis l’avènement d’internet, mais nous n’en sommes qu’à la préhistoire. Et puis l’adtech doit faire son storytelling: fondamentalement, ce n’est pas très sexy. Il faut bâtir un grand récit culturel autour de l’adtech comme l’ont fait les premiers publicitaires. En même temps qu’a lieu cette mue de l’industrie, plusieurs guerres se jouent: les grands groupes publicitaires doivent faire face à des prédateurs et sont menacés de disparaître. Leurs prédateurs sont d’un côté les grands cabinets-conseils et les pure players, de l’autre les acteurs du martech – Salesforce, Adobe, IBM… – qui veulent prendre le leadership de cette révolution. C’est la revanche des “CRMistes”.»

Le prof

Vincent Balusseau est professeur associé à Audencia Business School, où il enseigne la communication intégrée à l’ère digitale. Ses travaux actuels portent sur l’adtech. Il prépare un ouvrage collectif sur ce thème avec Jean Allary, partner chez Artefact. Docteur en sciences de gestion (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et diplômé d'un PhD (ESCP Europe), Vincent Balusseau a d'abord travaillé dans la publicité: planneur stratégique chez Publicis Net (Marcel), brand manager chez Publicis Conseil et directeur général de la société de production Première Heure.

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