Marché
Pour la présidente de la délégation Customer Marketing de l’AACC, les entreprises doivent absolument anticiper la mutation des rapports avec le consommateur que devrait immanquablement provoquer l’avènement de l’IA.

La délégation AACC Customer Marketing a récemment édité un livre blanc intitulé Qui a volé la relation client ?. Pourquoi poser cette question ?

Ce travail est le fruit de la réflexion de dix dirigeants d’agences et de plusieurs universitaires qui ont planché sur ce thème lors d’un think tank organisé en février dernier. Notre ambition est d’analyser les phénomènes qui impactent si fortement la relation client à l’ère du digital et qui font exploser les modèles qui prédominaient jusqu’ici. Ces phénomènes sont par exemple la domination des GAFA, l’avènement des robots, le poids des datas, le comportement des millenials, plus utilisateurs et opportunistes que forcément engagés dans une relation fidélisante, les communautés de clients qui s’affranchissent des marques… D'une certaine manière, la relation client a, par exemple, été volée par les directions générales. Car là où le sujet était auparavant cantonné à un département, il est devenu un enjeu central dans toute l'entreprise. Il n’est pas rare que les marques commencent leur comex en écoutant la voix du client ou en passant en revue leur dernière étude consommateur. Or c’est une fausse bonne nouvelle, car cela complexifie énormément les organisations.

 

Cela revient à considérer que c’est la relation client qui pilote la transformation des entreprises...

C’est effectivement ma conviction. La digitalisation des entreprises n’est que la conséquence de cette mutation, motivée par leur désir de se recentrer sur le client. Or, puisque c’est un individu 100% connecté, celles-ci n’ont d’autre choix que de s’adapter à ses nouveaux usages.

 

À quel niveau se situe précisément cette complexité ?

La multiplication des points de contacts a brouillé les parcours clients qui étaient relativement linéaires avant que l’on bénéficie de tous les outils et supports digitaux actuels, en particulier le smartphone. C’est un mouvement massif, exponentiel et fragmenté. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans l’obligation d’opérer une traçabilité de tous ces parcours tout en constatant que nous avons de plus en plus de difficultés à suivre le client. On compte donc, en réalité, davantage sur le fait que ce soit lui qui suive la marque, d’où l’avènement des notions d’engagement et d’expérience.


L’intelligence artificielle influence considérablement la relation client, faut-il pour autant la craindre ?

L’IA est incontestablement un levier d’amélioration de la relation client, dont elle aura redéfini les contours d’ici peu de temps. Mais elle a aussi une face plus sombre, liée au côté intrusif qu’elle peut représenter mais aussi à l’incarnation des IA dans les robots ou à son impact sur l’avenir de certains emplois, comme les vendeurs en magasin. La solution pour les entreprises est de trouver une juste complémentarité et d’anticiper les tâches que ne pourront pas effectuer les robots, comme guider les gens dans un magasin par exemple, à cause de leur lenteur de déplacement.
Malgré tout, éduquer une intelligence artificielle est très long. Il faut lui apporter beaucoup de connaissances et d’historique d’interactions - ce que l’on appelle le machine learning, NDLR - avant qu’elle devienne véritablement performante. Et surtout ça coûte très cher. Ce n’est donc pas demain qu’il y aura des robots dans tous les points de vente de France. Pour autant, c’est tout sauf un fantasme, c’est notre futur.


Ces évolutions génèrent énormément de datas que les GAFA aspirent pour leur propre usage au détriment des marques. Comment lutter contre ce phénomène ?

C’est une question de fond qui doit mobiliser tous les acteurs du marché, car il est inconcevable que les marques n’aient pas la main sur les datas qu’elles auto-génèrent. Dans le cadre du lancement de #FranceIA, la stratégie nationale en intelligence artificielle initiée par Axelle Lemaire en janvier dernier, j’ai fait partie de l’un des sept groupes de travail invités à réfléchir sur les impacts de l'IA sur l'économie, la société et la souveraineté nationale. Nous avons assez vite abordé la menace des GAFA, qui « désintermédient » d'une certaine façon la relation client. L'une des propositions que nous avons soumises consiste à inventer le nouveau Minitel - une technologie française adoptée par tous les Français - en concevant nos propres interfaces et nos propres chatbots afin d’éviter que nos données fuient vers l’étranger. L’idée est de faire en sorte que chaque foyer français dispose d’un hub d’IA chez lui, qui serait le receptacle de toutes les marques avec lesquelles il a décidé d’échanger. Et que les bots de ces mêmes marques soient gérés par un Alexia à la française, en référence à l’IA développée par Amazon aux États-Unis. Le gouvernement français serait bien avisé de lancer un appel d’offres pour identifier le meilleur acteur à même de concevoir ce dispositif.


Comment les agences dédiées à la relation client absorbent-elles cette mutation ?

Notre spécialité évolue vers toujours plus de marketing. Les nouveaux profils de nos collaborateurs sont d’ailleurs beaucoup plus stratégiques et moins opérationnels qu’auparavant. Aujourd’hui nous ne travaillons plus la simple mécanique de programmes de fidélisation et il n’est pas rare que nous affrontions directement les cabinets conseils dans les appels d’offres auxquels nous répondons.

 

Que devient le client dans tout ça ?

Malgré certaines rétience face aux publicités qu’il juge trop intrusives, ou à l’usage qui peut être fait de ses données, il demeure très pragmatique. Dès qu’il fait face à une proposition de valeur d’une marque qui est pertinente ou qui lui permet de trouver son compte au niveau transactionnnel, il est au rendez-vous. Ce n’est pas pour rien si l’on assite à une refonte globale des programmes relationnels pour aller vers des propositions qui privilégient la simplicité et qui délaissent les notions de valorisation et de statut, désormais davantage traitées par les réseaux sociaux.

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