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Le Black Friday prend de l'ampleur en France. Son édition 2015 avait été marquée par les attentats. Aujourd'hui, l'opération tente de se relancer, mais pourra-t-elle vraiment durer?

Si le vendredi est le jour le plus attendu de la semaine, le dernier vendredi de novembre devient, pour bon nombre d’internautes, le plus désiré de l’année. Depuis deux ans, la pratique du Black Friday s’installe en France. Cette tradition américaine veut que le lendemain de la fête de Thanksgiving, la dinde à peine refroidie, les enseignes proposent des offres promotionnelles gigantesques, souvent plus de 50% de réduction. Notamment les marques qui ne font jamais de ristournes, comme Apple ou d’autres fabricants haut de gamme. De fait, ces bonnes affaires attirent beaucoup de chalands, rendant les rues «noires de monde», d’où le terme de Black Friday.

En France, ce n’est pourtant pas dans la rue que le phénomène a commencé. Le Black Friday a été importé en 2013 par les pure players du web, notamment Amazon, jusqu'à devenir un rendez-vous immanquable qui s’étale sur trois voire quatre jours, à la différence des Etats-Unis. Selon une étude Criteo réalisée en 2015 sur 170 annonceurs, ses effets se font sentir dès la mi-novembre, avec des hausses sensibles de trafic sur les sites internet. Mais le jour J et le week-end qui suit, la hausse du trafic est de 59% et celle des ventes de 155%. «C’est un vrai rendez-vous qui s’est installé dans le calendrier, estime Pauline Dollé-Labbé, directrice de la marque et du multicanal de la Fnac. C’est le seul moment de l’année où nous faisons preuve d’autant de générosité.» Les ventes deviennent alors comparables à celle du dernier week-end avant Noël, mais restent encore loin des soldes d’hiver. «La mécanique prend en France, car nous ne sommes pas sur une fête culturelle américaine, observe Marc Thibaut, directeur marketing des centres commerciaux Klépierre. Le cœur de l’opération, ce sont les promotions, pas Thanksgiving, ce qui n’a pas de mal à convaincre les consommateurs.»

Des commerçants enthousiastes

S’il s’est surtout fait connaître via l’e-commerce, le Black Friday à la française se décline aussi en magasin. «Sur 40 centres commerciaux, nous avons eu une hausse de chiffre d’affaires de 12% en moyenne, avec des pics à 40% pour quelques-uns pendant cette période en 2015», révèle Marc Thibaut. A tel point que ce rendez-vous fait l’unanimité parmi les commerçants: 95% des patrons de boutiques souhaitent le reconduire. Son succès fait de lui un moment stratégique pour déterminer les tendances juste avant Noël, et du coup éventuellement réassortir les stocks.

Quels produits en bénéficient le plus? Le prêt-à-porter et la beauté, selon Klépierre. Les jouets et le sport, pour Criteo. Dans les deux cas, le high-tech n’est pas forcément dans le haut du panier en France, même s’il reste incontournable avec des offres quasi-inexistantes le reste de l’année. «Le Black Friday est en train de se franciser, estime Nicolas Gobert, directeur de l’image et de la marque pour Monoprix. C’était une opération très marquée produits brun [électroménager, high-tech] au départ. Mais, en France, son succès est très visible sur d’autres catégories.» L’enseigne fera cette année ses promotions sur les rayons mode et beauté, et effectuera pour l’occasion, son retour en radio après un long silence. Un investissement important pour Monoprix, qui révèle la progression du phénomène.

Le millésime 2016 devrait prendre encore plus d’ampleur. L'édition 2015 du Black Friday avait été marquée par les attentats parisiens du vendredi 13 novembre, qui avaient fortement ébranlé le moral des Français. Naturellement, ils étaient restés chez eux. Et certains avaient préféré profiter des promotions digitales plutôt que de s’aventurer dans les magasins. Mais en catastrophe, et par décence par rapport à ce «vendredi noir français», les marques avaient changé le nom de l’opération: Jours XXL pour Klépierre, Jours uniques à la Fnac, Week-end Superpromo chez Toys’R’Us…

Une réappropriation, nom compris

Cette année, la question a fait débat. Etait-ce judicieux d’utiliser ce terme un an après le drame? «Des enseignes sont venus tâter le terrain pour savoir comment nous allions communiquer», dévoile un directeur marketing. Il est vrai que se priver de l’estampille «Black Friday» risquait d'atomiser la communication, et de moins marquer les esprits. «En utilisant ce terme, l’effet de communication est démultiplié», concède Pauline Dollé-Labbé. Après de longs débats en interne, la Fnac a décidé d’utiliser Black Friday. Pour le distributeur, l’événement est réservé aux adhérents et devient un levier de recrutement important au programme de fidélité. Darty, Sephora, Cdiscount, Nocibé adopteront également le terme anglais, de même que Monoprix. Klépierre, de son côté, a préféré garder le nom Jours XXL. «Nous avons réinventé l’opération, raconte Marc Thibaut, et ajouté un supplément d’âme, avec des animations dans les magasins, des jeux digitaux,etc.»

C’est d’ailleurs peut-être cette réappropriation du Black Friday par la France qui lui évitera de s’essouffler. Au Royaume-Uni, selon une étude Webloyalty, le phénomène perd de sa superbe: 55% des personnes interrogées estiment que le Black Friday n’est plus à la hauteur de leurs attentes, 61% déplorent une trop grande affluence en magasin (voir encadré) et 60% ne sont plus certaines de réaliser des économies. A méditer pour ne pas reproduire les mêmes erreurs en France. 

L’hystérie américaine

Outre-Atlantique, le marketing de la pénurie, avec des stocks ultra-limités et le fait que l’événement ne dure qu’une journée, provoque parfois des scènes d’hystérie de consommation. Des queues de plusieurs centaines de mètres se créent et les acheteurs jouent des coudes pour un micro-ondes ou une console de jeu. D'ailleurs, chaque année, le Black Friday fait des victimes. Le site Blackfridaydeathcount.com tient les comptes depuis 2006: il comptabilise 7 morts et 98 blessées à ce jour. En France, la sécurité est bien évidemment renforcée, selon tous les interlocuteurs, mais le fait que l'événement dure plusieurs jours le rend moins dangereux. «Et ce n’est pas notre intérêt que les offres ne tiennent pas toute la durée», avance Marc Thibaut, de Klépierre. En conséquence, les stocks devraient être plus importants. 

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