Stratégie de marque
En généralisant au niveau mondial sa nouvelle politique de marque unique, Coca-Cola relance le débat sur l'intérêt de privilégier une «masterbrand» ou au contraire des marques-filles. Une question de coûts, mais aussi de gestion des pouvoirs en interne.

Inaugurée l'an dernier dans quelques pays européens dont la France, pays pilote, la nouvelle stratégie marketing de Coca-Cola a été lancée mondialement lors d'une conférence de presse à Paris le 19 janvier dernier pour être étendue aux 207 pays où le géant d'Atlanta est présent. Fini «Open happiness» («Ouvre du bonheur»), signature de la marque depuis 2009. Place à «Taste the feeling» («Savoure l’instant»).

L'optimisme reste donc toujours au cœur de la promesse de Coca-Cola, mais la stratégie marketing, elle, opère un changement radical: c'est désormais sous une même marque ombrelle que s'exprimeront ses différentes marques-filles. Les Light (lancée en 1988), Zero (2007) et Life (2014) perdent ainsi leur statut de marque avec leur univers, leur identité et leur communication spécifiques pour devenir de simples variantes complémentaires et alternatives au Coca Classic.

Toutes les campagnes feront désormais apparaître la marque dans son intégralité, à l’exception de communications plus tactiques. «La nouvelle approche de marque unique va permettre de faire rayonner les valeurs de la marque Coca-Cola à l’ensemble des produits Coca-Cola, en renforçant notre engagement d’offrir un choix clair aux consommateurs», résume Marcos de Quinto, chief marketing officer de The Coca-Cola Company.

Besoin de simplification

Ce changement de stratégie opéré par le groupe américain relance le débat sur les «masterbrands». «De nombreux clients nous questionnent en effet depuis quelque années sur l'opportunité d'“ombrelliser” leurs différentes marques», reconnaît Brice Auckenthaler, cofondateur et associé de Tilts Ideas, agence-conseil spécialisée dans l'innovation, la marque et la prospective. «Il y a un besoin de simplification et de clarification des portefeuilles de marques», ajoute-t-il, évoquant les exemples du fabricant d'électroménager SEB et du constructeur Renault. Le premier a réduit à six (Tefal, Rowenta, Moulinex, Krups, Lagostina et All-Clad) le très grand nombre de marques locales qu'il avait acquises au fil des années. Le second a, quant à lui, décidé, dans un tout autre registre quasi-subliminal, de se doter d'une signature design spécifique déclinée depuis quatre ou cinq ans sur ses différents modèles afin de réaffirmer son identité et d'accroître sa visibilité. Ce que des concurrents comme Audi et BMW font depuis longtemps. 

Quête de substance

Inaugurée par les groupes alimentaires, tels Danone et Nestlé, cette stratégie de renforcement de la marque-mère est reprise depuis quelques années par les géants des produits de grande consommation. Procter & Gamble, Unilever et Henkel (exception faite de Sara Lee) affichent ainsi désormais leur nom sur les produits de leurs différentes marques-filles, une manière de donner de la substance à leur marque corporate.

Idem dans des secteurs très différents comme la distribution, avec Carrefour qui a transformé ses enseignes Champion et Shopi en Carrefour Market et Carrefour City, ou l'automobile avec Citroën, dont la Xsara est devenue C4. De toute évidence, la force de la marque d'origine revient au goût du jour comme en témoigne le cas du groupe HP qui, après sa scission en deux entreprises disctinctes, a redonné le nom historique d'Hewlett Packard à son activité la plus prometteuse, celle des systèmes et des services informatiques. 

Limiter les conflits de pouvoir en interne

Mais bien souvent, la première motivation de cette démarche est d'abord financière. C'est généralement un moyen de rééquilibrer la part de voix en faveur de la marque centrale et d'éviter une trop forte dilution de sa prise de parole. «Pour atteindre un niveau de GRP suffisant, chaque marque doit investir autant que la marque-mère», constate Georges Lewi, spécialiste des marques (1). Un objectif clairement recherché par Coca-Cola, qui compte avec cette nouvelle stratégie de marque unique concentrer ses investissements publicitaires. Souhaitant pour l'occasion marquer un grand coup, le groupe a aussi prévu d'accroître sensiblement ses dépenses de communication cette année.

Un autre paramètre, interne cette fois, et loin d'être négligeable, explique également l'intérêt de cette stratégie, notamment pour les grands groupes. «La multiplication des marques et leur autonomisation font peser le risque des “bannières” autour desquelles se forment en interne des équipes indépendantes, parfois mêmes concurrentes, avec leur propre budget, leur propre stratégie, créant des conflits de pouvoir au sein de l'entreprise», analyse Georges Lewi, qui note que souvent dans ce contexte, «quand un nouveau patron est nommé, il en profite pour taper du poing sur la table et engager un recentrage autour d'une seule marque»

Cible moins précise

Pour autant, la stratégie multimarques a aussi ses avantages. Cela permet de jouer la carte de la segmentation, de toucher différentes cibles et donc de ratisser plus large. «Quand chaque marque a son discours et son positionnement avec des produits différenciant, cela permet de verrouiller plusieurs segments de marché», observe Brice Auckenthaler, de Tilts Ideas. «En investissant moins sur Coca Zero, la marque prend le risque de perdre une partie de la cible d'hommes et de cadres attirée par le discours de cette marque-suffixe», prévient Georges Lewi, pour qui la stratégie des marques-filles reste l'idéal, car elle permet de segmenter le marché tout en bénéficiant de la puissance de la marque leader. «Mais, manifestement, Coca-Cola devait avoir un problème de “bannières” à régler en interne.» 

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