Communication
Stratégies publie une étude exclusive de l’agence MMC sur les crises digitales en 2015 qui met en exergue les sujets tabous à ne pas transgresser pour éviter la polémique et la nécessité de s’expliquer, et de faire son mea culpa, pour la calmer.

C’est le scandale industriel et la crise «réputationnelle» de l’année 2015. Depuis la révélation le 18 septembre 2015 par l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) de la tricherie de Volkswagen pour déjouer les tests américains antipollution sur ses moteurs diesel, le constructeur allemand est dans l’œil du cyclone. Son président a démissionné, le cours de Bourse a dévissé de 20%, les conséquences financières se mesurent en milliards, la crise de confiance en interne est profonde.

Et sur le Web, redoutable caisse de résonance, les internautes ont pris leur part pour dénoncer cette affaire de fraude et de mensonge qui met à mal la probité de l’entreprise. Entre le 18 et le 21 septembre, le nombre de tweets négatifs sur Volkswagen bondit à 16 070 – contre seulement 766 tweets négatifs quelques jours auparavant, selon Amobee Brand Intelligence – et dans la foulée, le hashtag #DieselGate devient le premier  «trending topic» sur Twitter. Les internautes exhument d’anciennes publicités du constructeur qui vantait le diesel propre et détournent à l’envi le personnage de Dark Vador, que la marque avait utilisé pour la Passat. Même le passé hitlérien de l’entreprise refait surface… Début janvier, la marque affichait une moyenne mondiale de 61% d’opinion défavorable sur les réseaux sociaux (source Talkwalker).

«Le Volkswagengate est une crise industrielle traditionnelle, mais sa propagation virale internationale relève de la nouvelle donne digitale. L’information a été rendue publique sur le site internet de l’EPA puis relayée par le web éditorial, tandis que les internautes partageaient leur indignation sur les réseaux sociaux et exerçaient leur droit de suite, à l’instar des médias traditionnels, alimentant ainsi le “bad buzz” dans la durée observe Marie Muzard, fondatrice de MMC, agence spécialisée en communication de crise digitale et auteur du livre Very bad buzz. Méthode pour préserver sa réputation sur internet (Eyrolles, 2015). Comme la quasi-totalité des bad buzz digitaux, cette crise relève d’abord d’une question éthique. C’est la tromperie qui nourrit l’indignation, plus que la non-conformité des moteurs aux normes environnementales. Le constructeur allemand a clairement transgressé un des tabous les plus sensibles dans la sphère digitale, la manipulation

Twitter, premier lieu d'émergence

Le «casier digital» de VW ne sera plus jamais vierge… A l'exemple, toute proportion gardée, de celui de La Mère Poulard, le célèbre restaurant du Mont-Saint-Michel, épinglé parmi les 643 bad buzz significatifs de 2015, recensés sur le web francophone et anglophone par une étude de l’agence MMC, dont Stratégies publie les résultats en exclusivité. «Un bad buzz significatif [ou crise digitale)], c’est une polémique pour une entreprise-organisation qui est relayée au moins sur deux espaces du web de manière forte avec, par exemple, plusieurs tweets par minute et plus de 30% de commentaires critiques sur la page Facebook», précise Sophie Licari, consultante senior, responsable du monitoring et de la veille web chez MMC.

Si les marques et les groupes grand public sont évidemment les plus exposées aux crises digitales (55% des cas), les entreprises publiques, les services administratifs et les collectivités territoriales n’échappent pas à ce nouveau risque (20%), ni les PME puisque 18% des bad buzz en 2015 les concernent. C’est donc le cas de La Mère Poulard, accusé par le site de tourisme Tripadvisor de «falsifier des avis de voyageurs et l'indice de popularité de l’établissement» et qui en prévient les internautes par un bandeau rouge sur sa fiche. Le sujet est traité par de nombreux blogs/sites très influents et aussi largement sur Twitter

Le réseau social est le premier lieu d’émergence des bad buzz (36%) avec le web éditorial, sites et autres blogs (35%). Facebook figure en troisième position (21%), mais pas toujours seul. Il peut aussi relayer des bad buzz présents sur Twitter ou d’autres réseaux (10%). «Quand la fan-page est “polluée” par une vague de critiques, la probabilité de générer une crise grave est plus élevée, sachant que les internautes qui suivent une marque sur Facebook ont des chances de faire partie de ses clients. Ce qui est moins le cas dans la blogosphère ou la twittosphère. C’est pourquoi un bad buzz dans ces espaces présentent moins de risque pour l’entreprise» souligne Marie Muzard. A noter qu’il est rare qu’une crise digitale prenne naissance sur You Tube ou une autre plateforme vidéo.

Internet, repaire de tabous

Si aucun secteur n’est totalement à l’abri d’un bad buzz, les médias, par nature lieux de débat pour lesquels internet joue le rôle de caisse de résonance, sont les plus touchés. En mars dernier, TF1 a subi la colère des téléspectateurs choqués de voir Louis Bodin en duplex devant la carcasse d’un des deux hélicoptères de l'émission Dropped après leur crash mortel. Catherine Nayl, la directrice de l'information de TF1, s’est excusée dès le lendemain sur Europe 1, a expliqué que la chaîne n’avait pas choisi le lieu et compris que «la sensibilité des téléspectateurs avait pu être heurtée». En novembre, lors de la prise d’otages à Bamako, c’est BFM TV avec son «trois otages tués dont un blanc» qui est épinglé sur le web. La formule n’est pas reprise, mais la chaîne d'infone donne pas d’explication. En mai, c’est le magazine Biba qui finit par annuler un concours de graphistes suite au bad buzz sur des blogs et des pages Facebook de la profession qui dénonce l'exploitation et le travail déguisé, et se félicitera ensuite de ce «rétropédalage». «La page Facebook du magazine est nettoyée du sujet après le buzz et la criticité apaisée» indique Sophie Licari.

Autre secteur, la mode est également fortement exposée aux bad buzz, notamment d’ordre éthique, qui dominent très clairement sur le web. L’an passé, la campagne lancée par l’ONG Peta contre Hermès montrant dans une vidéo des crocodiles dépecés à la scie a fait un tel bruit que Jane Birkin a demandé à la marque de luxe de débaptiser le sac en croco à son nom. Pour ne pas perdre son ambassadrice, Hermès a dû revoir sa politique d’audit auprès de ses fournisseurs, prendre des engagements forts, promettre des sanctions en cas de manquements avérés. En revanche, pas de prise de parole d’Yves Saint Laurent, dont une publicité avec une mannequin squelettique parue dans la version britannique d'Elle en mai est interdite par l’Advertising Standard Authority suite à une plainte d'une lectrice. Le sujet est actif pendant plusieurs mois et la criticité n’est toujours pas apaisée. Ce cas devenant emblématique de l’encouragement de la mode à l’anorexie.

«Près de 40% des bad buzz sont liés à des initiatives en communication» pointe Marie Muzard. Des campagnes de publicité/promotion en ou hors ligne, des publications ou des dispositifs pour animer les réseaux sociaux, des réponses du community management, des prises de parole publiques… « Avec des process de contrôle plus adaptés dans le domaine de la communication, le nombre de crises digitales devrait pouvoir baisser significativement» ajoute-t-elle. 

Car il faut le savoir, «sur le web, les tabous sont plus nombreux que dans la vraie vie», rappelle Marie Muzard. Plus de la moitié des bad buzz sont liés à la transgression d’un des cinq tabous suivants: identité ethnique ou géographique, identité sexuelle, manipulation, discrimination sociale et non-respect des clients. Il faut y ajouter les comportements à risques ou déviants (encouragement implicite à l’anorexie, à la violence, etc.), le non-respect des internautes (transgression des usages du web, comme Nintendo qui voulait faire payer ses jeux sur You Tube), les atteintes aux animaux et les discriminations physiques ou les atteintes à l’innocence de l’enfance. «Ce Top 10 représente 84% des bad buzz en 2015, indique Marie Muzard. On peut donc les éviter en ne transgressant pas l’un de ces tabous digitaux.» A commencer par le sexisme, qui arrive (encore) en tête. Comme ces étiquettes de Boulanger «Noël de rêve pour elle» sur un fer à repasser et un pèse-personne, aussitôt retirées avant que la polémique n’enfle en décembre dernier avec un tweet d’excuse du distributeur «pour le balisage inadapté sans connotation volontaire». Le BHV qui a été épinglé par tous les médias et nombre d’internautes avec ses produits vaisselle aux slogans douteux («Il faut pomper pour que ça gicle», «Ne pas avaler? Zut pour une fois que j'étais d'accord»…) s’est lui défendu en évoquant le second degré et la volonté d’aider de jeunes créateurs français, même si les produits ont été retirés de la vente.  

Communiquer, mais pas seulement

La réaction à un bad buzz n’est pas toujours suffisamment adaptée et ne permet pas toujours d’en atténuer la criticité. Ce qui est avéré, en revanche, c’est qu’il faut communiquer, ce qu’ont fait 91% de ceux qui ont réussi à apaiser le buzz. «La communication est une condition nécessaire, mais pas suffisante, rappelle Marie Muzard. Si l’organisation a commis une erreur ou une maladresse, mieux vaut plaider coupable. La grande majorité de ceux qui optent pour un mea culpa réussissent à réduire la criticité du buzz.» Stéphane Richard, le président d’Orange, peut en témoigner. Il en a fait l’amère expérience en juin dernier après son discours au Caire (Egypte) interprété comme un appel au boycott d’Israël. Le bad buzz devient aussitôt international sur les sites d'information et sur Twitter, et très clivant. Pour éviter l’incident diplomatique, Laurent Fabius doit intervenir et Stéphane Richard fait le voyage à Jérusalem en urgence pour exprimer ses regrets au Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou dans une mise en scène filmée de son acte de contrition. Au-delà de ce cas «politique», les entreprises doivent «rétropédaler» quand c’est possible, ou sinon proposer des actions correctrices ou réparatrices. Pour Marie Muzard, avec les crises digitales, l’entreprise est entrée dans l’ère du «flawsome» (1) et doit savoir reconnaître une faiblesse pour mieux rebondir.

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