Cellule de crise. Le 14 novembre, les équipes de la SNCF et de leur agence, TBWA Paris, se réunissaient, au sombre lendemain des attentats qui avaient ensanglanté la capitale. La décision ne fait pas l'ombre d'un doute: la nouvelle campagne TGV, dont la sortie était prévue le 20 novembre, doit impérativement être repoussée. Sa bande-son, la guillerette chanson de Trénet Je chante, paraîtrait plus que déplacée, quasiment obscène, en ces terribles jours de deuil national. Par surcroit, le 14 novembre, l'accident d'une rame de TGV d'essai provoquait la mort de 11 personnes.
Trois semaines plus tard, la SNCF a décidé de ressortir son film, sur les écrans à partir du 15 décembre. Le spot est conçu pour faire le buzz. Le fou chantant a laissé la place à un autre gandin exubérant: le bondissant Mika reprend la chanson créée en 1937. «Nous avons choisi cette chanson du patrimoine, car nous entendons plaire à tous les Français, de tous les âges et de toutes les régions», annonce en préambule le créatif Vincent Pedrocchi, concepteur-rédacteur sur la campagne aux côtés de Cédric Moutaud, directeur artistique.
«Nous avons pensé à Mika parce qu’il est à la fois chic, élégant, poétique…», explique Isabelle Bascou-Debleme, secrétaire générale de Voyages SNCF. Le chanteur s’est imposé assez rapidement, pour son côté transgénérationnel notamment. «Mika, c’est quelqu’un qui a été encensé par Les Inrocks, mais passe aussi bien sur TF1 que sur NRJ», relève Olivier Lefebvre, le head of music de TBWA Else. «Et il fallait trouver un artiste intéressé par le format, assez compliqué, avec beaucoup de contraintes», ajoute ce dernier.
En cette grise matinée de début novembre, les équipes de TBWA Paris et de Digital District mettent la dernière main au film à grand spectacle, qui a nécessité une dizaine de jours de tournage. Pour un œil novice, tout semble déjà au cordeau. «Non, il reste encore des petites finitions, comme dans la séquence où les fleurs se mettent à pousser dans le piano de Mika», indique Vincent Pedrocchi.
Piano-voie
Un piano qui roule sur des voies de chemin de fer, dont les cordes s’emplissent d’une végétation luxuriante, un piano-bar, une jeune fille au style rétro, des cosmonautes, une soudaine averse, des paysages changeants, un final Gare Saint-Charles à Marseille où Mika, la tête encore pleine de jardins extraordinaires, foule le quai, une valise en carton à la main… Un retour en poésie. «Notre dernière grande prise de parole remontait à 2004, avec un spot où, sur une musique de Keren Ann, on évoquait la fluidité du voyage en TGV», rappelle Isabelle Bascou-Debleme. Pour rompre son silence de dix ans, TGV a confié à la maison de production Henry et au réalisateur danois multiprimé Martin Werner l’exécution du film, dont le budget est confidentiel, et qui a nécessité moult effets spéciaux.
Un mois en télévision, avec d’autres vagues tout au long de l’année. Pour son grand come-back en télévision, on l’aura compris : chez TGV, on n’a pas lésiné: «Il s’agissait de reprendre la parole très fortement, pour ré-enchanter l’expérience TGV, refaire écarquiller les yeux des gens, leur montrer à nouveau en quoi ce moyen de transport est extraordinaire», explique Anne Vincent, vice-présidente de TBWA Paris. D’où ce voyage onirique, qui entend traduire «dans une campagne de sensations et de ressenti, à quel point le voyage en TGV est une bulle, qui entraîne une forme de lâcher-prise», résume Anne Vincent.
Mais il s’agit aussi, comme l’expose Isabelle Bascou-Debleme, «de remettre en lumière les efforts de TGV, tant en termes de LGV [lignes à grande vitesse] que de nouveau matériel». En avril prochain, la ligne LGV-Est, baptisée «L’Européenne», mettra 1h50 pour arriver à Strasbourg depuis Paris. En 2017, sur la LGV Sud-Atlantique, les temps de trajet vont également significativement décroître de Paris à Bordeaux: deux heures au lieu de trois. La même année, la nouvelle ligne LGV Bretagne-Pays de la Loire mettra Rennes à 1h25 de Paris, au lieu d’un peu plus de deux heures actuellement. «La grande vitesse dans une région, ça a des conséquences sur la vie des gens», relève Anne Vincent, «le TGV entraîne des modifications économiques, sociologiques…».
Recentrage
Mais alors que la SNCF se recentre sur ses activités ferroviaires mais aussi routières (avec le service Ouibus, issu de la libéralisation des liaisons longue distance par car instaurée cet été par la loi Macron), certains consommateurs s’émeuvent toutefois des prix des billets de TGV, jugés trop coûteux. «Nous voulons surtout clarifier notre offre: un client peut, à des moments différents de sa vie, être Ouibus, Ouigo [offre de trains à bas coûts] ou TGV, qui propose une haute qualité de voyage», énumère Isabelle Bascou-Debleme.
Une attention particulière est portée aux professionnels, «auprès desquels nous insistons sur la fréquence, le confort et la grande vitesse», souligne la secrétaire générale de Voyages SNCF. Deux spots leur sont destinés, qui voient les clients de TGV Pro découvrir que leur voisin de train n’est autre que Mika, toujours lui. Par ailleurs, toujours dans une logique «premium», TGV a lancé avec M Publishing (Le Monde) «Emmenez-moi», «une collection de City Guides offerte aux voyageurs de 1ère classe TGV», rappelle Isabelle Bascou-Debleme qui souhaite que «ce film soit aussi une sorte de cadeau que les gens partagent, avec cette chanson qui va sortir en single».
Le 13 novembre sortira le coffret de Noël de Mika [Universal] dans lequel figure la chanson du spot, qui a été décliné en long format pour un clip-vidéo. Une manière d’accroître la viralité de la campagne, mais aussi parce que «l’univers de TGV et celui de la musique vont bien ensemble. Il s’agissait de concevoir un système qui aille plus loin que la pub», estime Anne Vincent. Isabelle Bascou-Deblème espère en tout cas mettre le classique de Charles Trénet dans toutes les têtes. De la Nationale 7 à la très grande vitesse…
