Relation agence-annonceur
Toujours plus présents dans le processus de sélection des prestataires marketing et communication, les directions achats des annonceurs ne sont plus seulement perçues comme d'affreux «cost killers», même du côté des agences. Mais la montée en expertise de cette fonction sur ce type de poste a encore devant elle une belle marge de progression.

En cette période d'âpres discussions dans les entreprises pour boucler les budgets marketing et communication, l'enjeu financier, pour ne pas dire purement comptable, de ces postes –encore trop souvent perçus comme des dépenses et non comme des investissements– désespère toujours nombre d'acteurs de ce marché, dans les agences comme chez l'annonceur. Et la montée en puissance ces dernières années des directions achats, notamment lors des appels d'offres, n'a fait qu'envenimer le débat.

Depuis une dizaine d'années, les directions marketing et communication ont dû en effet s'accomoder de nouveaux partenaires en interne: les acheteurs, répondant plus souvent au doux nom de «cost killers». «On les retrouve surtout dans les grands groupes, notamment internationaux», explique Nathalie Taboch, ancienne de Starcom, Carat et Henkel, aujourd'hui directrice générale du cabinet Ebiquity France, spécialisé dans l'audit médias et le marketing analytics. «Ils ont commencé à intervenir sur les contrats d'achats d'espaces publicitaires avec leurs guidelines et leurs objectifs de réduction des coûts», ajoute-t-elle. Mais ils sont désormais quasi omniprésents. Ebiquity France a encore récemment rencontré la direction achats d'un grand groupe qui envisage de faire monter cette dernière sur les dossiers médias et marketing.

Quête de productivité

«Il y a dix ans, seuls 5% de nos clients initiaux étaient des acheteurs, aujourd'hui, ils en représentent 45%. Et dans 60% des dossiers que nous gérons, directions achats et marketing travaillent ensemble», constate Fabrice Valmier, codirigeant du cabinet en choix d'agences VT Scan.

Même son de cloche chez son concurrent Pitchville, qui observe que dans les deux tiers des compétitions qu'il coordonne, les services achats sont impliqués. De fait, l'exigence est de plus en plus grande en matière de productivité chez les annonceurs, même si ça ne passe pas forcèment par le service achat. «Pour des annonceurs de taille moyenne, c'est nous qui faisons souvent office de direction des achats. Ce fut le cas par exemple sur les budgets médias de France Galop, Transavia ou Weleda», reconnaît Stéphanie Pitet, associée fondatrice de Pitchville. 

Cependant, certains services marketing arrivent encore à faire de la résistance. «Quand j'étais chez Lesieur, l'implication des achats a été maintes fois à l'ordre du jour. J'ai toujours refusé arguant du fait que l'achat marketing est très pointu et nécessite une compétence spécifique. La négociation finale doit rester au marketing», explique David Garbous, directeur du marketing stratégique de Fleury Michon. «Je préfère faire monter le marketing vers l'achat que l'inverse. C'est pourquoi j'ai toujours favorisé la formation de mes équipes sur ces sujets, en collaboration d'ailleurs avec les acheteurs du groupe. Il est important que la fonction marketing connaisse et soit consciente de l'importance des achats qu'elle fait», ajoute-t-il. Au sein du groupe Fleury Michon, si historiquement les marchés liés aux panels sont entièrement gérés par les achats en lien toutefois avec le marketing («il s'agit d'un gros poste où il faut vérifier qu'on a les bonnes contreparties»), tout le reste est entre les mains de ce dernier. 

Changement de modèle

Mais là où le bât blesse, c'est quand agences et directions marketing doivent négocier avec des acheteurs qui ne connaissent strictement rien au secteur de la communication. Ainsi un tiers voire la moitié d'entre eux, selon les sources, suivraient encore un modèle d'achat industriel. «Le cliché, que malheureusement on croise encore, est celui qui achète de la communication comme il achète des kilomètres de fils de cuivre», lance Vincent Leclabart, président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC). Plus largement, «ils sont encore nombreux à être toujours calés sur le vieux modèle de l'achat d'espace avec rémunération au pourcentage. Or avec l'essor du digital, la part variable de la rémunération est de plus en plus importante», remarque Stéphanie Pitet (Pitchville). Elle reconnaît aussi que «les abus de quelques agences lors des débuts du digital ont laissé des traces au sein des directions achats». En tout cas, sur tout ce qui touche au e-commerce, au SEO, à la data, au programmatique et à tout ces nouveaux métiers du digital, les achats sont aujourd'hui encore peu présents. 

A contrario, même si le cas n'est pas si fréquent, certains annonceurs confient la gestion des appels d'offres marketing et communication exclusivement à leur service achat. «Récemment encore, nous avons eu pour unique interlocuteur la direction achats d'un laboratoire pharmaceutique pour la préparation de sa consultation d'agences médias. Les tableaux de négociations et de prix ont ainsi été préétablis, en totale déconnection avec la stratégie média du service marketing», regrette Stéphanie Pitet.

Evangélisation

Le bonnet d'âne revient au secteur public. Prisonnier de procédures très contraignantes, les échanges de certains annonceurs publics avec les agences sont parfois limités au strict minimum. «C'est ainsi qu'on se retrouve par exemple avec une telle pression sur le coût du GRP acheté par les agences qu'au final le résultat se fait au détriment de l'objectif assigné à la stratégie marketing», note Nathalie Taboch (Ebiquity France) qui constate toutefois que «les annonceurs commencent à comprendre la limite en termes d'efficacité d'une politique de réduction des coûts à tout prix»

En cela, le travail de pédagogie mené par les services marketing en interne comme par les agences ou les cabinets-conseils semble porter ses fruits. «Plus j'ai l'occasion de parler aux acheteurs, mieux c'est», assure Antoine Lesec, président de l'agence Being qui a mené voilà six mois deux sessions de formation chez son client Schneider Electric à la demande de la direction achat monde. «On arrive à faire comprendre les différents business model des agences selon les métiers», confirme Fabrice Valmier (VT Scan) qui depuis 2011 propose, cette fois à l'adresse des agences, un module de formation baptisé «Savez-vous parler achat?». «Il faut mettre les directions achat dans la boucle dès le début pour éviter de détricoter ensuite tout le dossier, et surtout pour qu'elles comprennent les besoins de leurs équipes marketing et la logique d'une reco d'agence qui peut être à l'opposé de celle d'une concurrente pour toutes sortes de raisons», ajoute pour sa part Stéphanie Pitet (Pitchville).

Renouveler le sourcing

Mais pour Vincent Leclabart (AACC), «il n'est pas toujours facile d'expliquer et de justifier de façon rationnelle à un acheteur le recours par exemple à une personnalité ou une star pour une campagne de publicité. Mais le fait que les agences apportent des idées créatrices de valeur, cela commence à être compris.» Florence Garnier, cofondatrice de Roth Observatory France, cabinet-conseil en marketing management, ajoute: «Une nouvelle problématique se pose aux acheteurs: comment faire entrer dans l'entreprise des prestataires qui n'ont pas le profil habituel, comme un blogueur ou un artiste? Il leur faut inventer un nouveau sourcing.»

En fait, la fonction d'acheteur, qui a beaucoup évolué en se spécialisant davantage dans ces prestations intellectuelles, travaille de plus en plus étroitement avec les services marketing, avec au final une mission de régulation plus qu'un pouvoir de décision. «Les agences, elles-mêmes, comprennent mieux le rôle des directions achat. En tout cas elles l'acceptent mieux», estime Nicolas Robert, directeur général du Hub, cabinet spécialisé dans l'optimisation de l'efficacité des investissements marketing des annonceurs. «Il existe une nouvelle génération d'acheteurs qui se positionnent sur le respect des règles du jeu luttant contre les mauvaises pratiques en interne et se portent garants de la transversalité dans l'entreprise», avance Florence Garnier. 

Prescripteurs

Dans certains cas, les acheteurs peuvent avoir un pouvoir de prescription, tant vis à vis des agences («Les services de la SNCF et Schneider Electric nous ont recommandé à leurs départements communication ou à leurs filiales à l'étranger», confie Antoine Lesec, de Being) que des cabinets de choix d'agence («Chez Carrefour, c'est la direction achat qui est venue nous chercher», explique Fabrice Valmier, de VT Scan).

Ils savent même parfois faire des préconisations plutôt inattendues de leur part: «Dans le cadre de l'appel d'offres que nous avons mené pour Aéroports de Paris, le service achat a recommandé des postes de consultants supplémentaires pour être plus efficaces», raconte Stéphanie Pitet (Pitchville). L'exception sans doute qui confirme la règle...

Sans céder à ce tableau idyllique, les services achats ont tout de même le mérite, de l'avis de la majorité des professionnels, de participer à une plus grande transparence. Ils aident certes à optimiser les budgets souvent en baisse du marketing, mais surtout ils permettent de mieux structurer et décomposer la prestation en se basant sur des critères factuels, offrant ainsi moins de prise aux incompréhensions, souvent sources de conflits voire de litiges entre agence et annonceur. 

Apprivoisement mutuel

En interne, les plus affûtés apportent aux équipes marketing d'autres filiales ou marchés de leur groupe une précieuse expérience, par exemple dans le libellé des contrats, la gestion de la propriété intellectuelle ou le process et la logistique. «Leur valeur ajoutée réside dans leur capacité à décortiquer un dossier. Le service achat nous permet de mieux comprendre le détail de la prestation en tenant compte de la séniorité des consultants, des horaires déclarés... Et il valide au final la rédaction des prestations», remarque David Garbous (Fleury Michon). Cet autre regard, cette autre manière de travailler permet aussi «de mieux structurer les honoraires et de rationnaliser la rémunération», selon Nicolas Robert (Le Hub).

La relation semble s'être apaisée, estiment certains acheteurs: «Au début, les agences étaient surprises, sans doute. Il a fallu s'apprivoiser. Mais quand la relation est régulière et que nous sommes partie prenante de l'équipe projet, les agences voient la valeur ajoutée que nous apportons. Nous pouvons être une utile courroie de transmission en incitant les équipes marketing à mieux spécifier et formaliser leur cahier des charges. Et ayant l'historique de la relation avec les agences, nous identifions aussi mieux leurs points forts», assure Agnès Weinland, responsable achats marketing-communication monde chez Schneider Electric, qui en l'espèce a mis en place depuis cinq ans une «coopération cross-fonctionelle» achat-marketing plutôt inédite (lire l'encadré).

Mais les cas à la Schneider Electric ne sont pas encore légion. «À une époque, où de toute façon, les annonceurs cherchent à payer le moins possible», conclut Vincent Leclabart, «le combat, côté agences, est certes collectif, mais il est avant tout individuel. Cela reste une discussion de gré à gré. Et ce n'est pas seulement une question d'argent, le désir compte aussi. La création n'est pas une commodité. L'idée a un prix. C'est finalement le seul discours que nous ayons à tenir.» 

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