Cible premium
La premiumité avait ses marques. Elle a maintenant ses cibles. Mais pour les caractériser, les critères socioprofessionnels ne suffisent plus.

Utilisé depuis quelques années pour désigner un positionnement de marque, le terme «premium» est de plus en plus souvent employé dans un registre sociologique, pour caractériser des comportements de consommation. Après les marques, voici donc les clients premium. De la marque à la cible, le prolongement semble logique. Est-il pour autant fondé ? Peut-on non seulement identifier des populations «premium», mais, mieux encore, les définir au travers d’attributs objectifs ? Bref, entre rigueur sociologique et opportunisme marketing, l’individu consommateur est-il soluble dans la «premiumité» ?

Jusqu’à présent, l’étalon référent de catégorisation des cibles restait la CSP, nomenclature créée en 1954 par l’Insee pour classer la population à l’aune de cinq critères : métier, activité économique, qualification, position hiérarchique et statut. Et le chouchou des départements marketing est encore incontestablement le fameux CSP+, qui regroupe les chefs d’entreprises, les artisans et commerçants, les cadres, les professions intellectuelles supérieures.

Mais si elle a fait l’objet de réajustements méthodologiques au fil du temps, cette nomenclature est de plus en plus souvent remise en cause. D’un point de vue scientifique, on la suspecte de ne pas résister aux profondes mutations qui traversent nos sociétés. D’un point de vue marketing, elle ne collerait plus à des usages de consommation de plus en plus complexes et à des segments de consommateurs de plus en plus hybrides. Il est vrai que les CSP+ constituent une grande famille : plus de 12 millions d’individus, environ 25% des plus de 15 ans, 35% des 15-59 ans et 45% des actifs ! Même réduite aux professions libérales et cadres supérieurs, autrement dit aux CSP++, elle recouvre pas moins de 4,5 millions d’individus.

Notion d'influence

En lançant en 2008 la première vague de son étude «Premium», Audipresse a sans doute amorcé l’ancrage de la «premiumité» dans le registre médiatique. «La population des CSP+ a fini par nous sembler trop large pour permettre une analyse suffisamment fine et précise pour répondre aux besoins des annonceurs les plus sélectifs. C’est pourquoi nous avons déplacé et affiné le centre de gravité de notre observation vers la notion d’influence», raconte Gilbert Saint-Joanis, en charge des études chez Audipresse.

Pour constituer son échantillon premium, la société d’étude a donc intégré des indicateurs personnels, liés au pouvoir d’achat et au pouvoir de prescription sur l’achat. Exit, par exemple, les enseignants du secondaire, éligibles au titre de CSP+, qui n’ont pas d’influence sur les dépenses dans leur environnement professionnel. Exit également les professions intermédiaires, ou les patrons d’entreprises de un à trois salariés. Mais bienvenue au «top 8» des foyers à hauts revenus, même si on peut y trouver des personnes sans profession ni emploi.

«Ouverture à la modernité»

Si la premiumisation vise à «toper» ou à «caper» les publics cibles, ce n’est pas donc nécessairement par l’entrée socioprofessionnelle. «Les critères à l’éducation, à la profession et aux revenus demeurent très pertinents, mais ils ne suffisent plus. Désormais, il faut par exemple prendre en compte des indicateurs permettant de qualifier l’ouverture à la modernité», résume Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de Sociovision. La société d’études identifie pour sa part deux cibles premium : les «bourgeois installés», économiquement à l’aise, socialement stabilisés, ouverts tout en restant attachés à certains référents, et les «néo-bourgeois», également aisés, mais plus enclins au changement dans leurs usages et leurs représentations.

Pour être protéiforme, la cible premium est néanmoins traversée par de grandes lignes de caractérisation, notamment la perméabilité aux usages digitaux. «L’enseigne hôtelière Pullmann a parfaitement su capter cette nouvelle génération de clients business, internationale, hypermobile, hyperdigitale», souligne Marc-André Allard, directeur général de DR Innovation.
Au-delà des étiquetages spécifiques à telle ou telle méthodologie, la notion de premiumité cristallise parfaitement l’hybridation des segments classiques de clientèle. De fait, la cible premium délivre chaque jour son lot de révélations contre-intuitives. Une étude, publiée en 2014 par Mediacom, vient battre en brèche certaines idées reçues. Ainsi, le positionnement premium n’intéresse pas que les riches : son taux de pénétration ne diffère que de 3 points entre CSP+ (24,7%) et CSP- (21,9%).

Autre surprise : 90% des consommateurs de produits du quotidien premium les achètent en supermarché. Un exemple : l'incursion de Fauchon dans la grande distribution n'impacte aucunement sa valeur. Fauchon est même la deuxième marque premium en notoriété assistée (47 %), derrière Nespresso (52 %) et devant Sony (43 %).

«Réappropriation de la valeur produit»

En digne héritière du credo «no logo», la cible premium ne veut pas se laisser dicter ses choix. Tout autant que des moyens de consommer, elle dispose d’un important niveau d’information et aspire à de nouveaux attributs de valeur ajoutée qu’elle va autant rechercher dans les registres éthique et politique que dans l’affirmation statutaire. «Les gens ont accepté la crise, une crise qui s’est installée pour durer. Ils veulent se faire plaisir de manière ponctuelle, et cela passe par la réappropriation de la valeur produit, qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque», note Frédérique Thureau, directrice de TNS Qualitative France. La premiumité, ce serait donc cela : la capacité à reprendre le droit de choisir, au-delà du fantasme libératoire d’une innovation débridée et du fantasme décroissant du bas-de-laine.

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