Agences
Désigné nouveau CEO de WPP à la rentrée, Mark Read s’exprime en exclusivité dans Stratégies. Alors que les actions du leader mondial de la communication ont perdu près de 40 % de leur valeur en dix-huit mois, le successeur de Martin Sorrell développe sa vision de l’avenir d’un groupe qu’il connaît bien pour en avoir gravi tous les échelons depuis 1989.

Le fondateur de WPP, Martin Sorrell, était depuis plus de trente ans le grand patron, l’inspirateur du groupe. En tant que successeur, comptez-vous employer les mêmes méthodes ou bien définitivement tourner la page ?

Martin a toujours dit qu’il savait que, quelle que soit la personne qui viendrait après lui, le groupe serait dirigé de façon différente. Mais ma priorité est surtout d’essayer de faire les bons choix dans le marché actuel, pas de chercher à être à tout prix différent.

Je suis optimiste sur le potentiel et les opportunités qui s’offrent à WPP, mais je sais aussi qu’il y a un certain nombre de choses à changer dans le groupe. Comme tous les acteurs publicitaires, nous faisons face à un contexte disruptif, avec de nouveaux entrants, avec Google et Facebook, avec de nouvelles technologies.



Martin Sorrell a su construire des ponts avec Google et Facebook, qu’il qualifiait lui-même de « frenemies » (friends+enemies). Est-il toujours aisé de travailler avec ces groupes, dans un rapport de force qui a évolué et avec un certain nombre de problèmes qui ont échaudé les annonceurs ?

Le plus important pour nous est de rester les meilleurs conseillers pour nos clients, de leur permettre d’obtenir le meilleur rendement de Facebook et Google. Ce qui implique à la fois de comprendre en profondeur leurs plateformes, d’entretenir une relation de confiance et de franchise avec eux, et de leur demander des résultats. Je ne perçois pas cette défiance vis-à-vis d’eux car leurs résultats financiers suggèrent qu’ils continuent de croître très rapidement. Mais il est normal que les annonceurs aient des garanties sur le placement de leurs publicités, et soient sûrs qu’elles n’apparaissent jamais à côté de contenus inappropriés.

 

Votre désignation, fin août, n’a pas été bien perçue par les marchés, qui semblaient préférer un profil de «numérique dur». Comme avez-vous convaincu les décideurs?

Le conseil d’administration a pris sa décision avec la volonté de choisir le meilleur candidat. Une fois que le plan d’action et la vision globale sur la meilleure façon de remettre le groupe sur le chemin de la croissance ont été présentés, il a opéré un choix subtil entre une désignation interne et une désignation externe.

 

Vous avez rejoint WPP en 1989, en adressant directement un courrier à Martin Sorrell. À l’époque, la publicité était un parfait compromis entre intuition, créativité et technologie. Le poids grandissant de la data et de l’intelligence artificielle redéfinit-il les compétences et la magie du métier ?

Je n’ai jamais été un tenant de la publicité traditionnelle, et je pense que la publicité est beaucoup plus passionnante aujourd’hui qu’il y a trente ans. Nous devons cultiver notre créativité et nos idées traditionnelles, mais nous devons aussi acquérir de nouvelles compétences. C’est un défi difficile, mais excitant.



N’est-il pas plus simple d’être innovant et créatif dans de petites structures, plutôt que dans de grands groupes soumis à des pressions actionnariales ?

Je ne le pense pas. J’entends rarement qu’Accenture, avec ses plus de 400000 salariés, est devenu trop grand. Il en va de même pour WPP, où nous essayons de trouver un bon équilibre entre des groupes avec de grands réseaux et des petites agences très créatives. La taille en soi n’est pas un problème, il s’agit surtout d’attirer les bonnes personnes.



Les spéculations autour d’une revente de Kantar, pour un recentrage de vos activités sur la publicité, ont pourtant été nombreuses ces derniers mois…

Nous avons communiqué à ce sujet, en expliquant que dès lors que nos clients veulent des solutions complémentaires et intégrées, il ne fait aucun sens d’éloigner les métiers. Nous réfléchissons à la meilleure façon de développer les activités de Kantar et en temps voulu, nous prendrons une décision.

Une succession délicate

Six mois se sont écoulés depuis le départ de Martin Sorrell de la direction de WPP, à la suite de l’utilisation abusive de la carte de crédit du groupe à des fins «ludiques». La tâche est ardue pour Mark Read, tant son prédécesseur a marqué de son empreinte, de sa personnalité et de ses excès, ce fabricant de caddies de supermarchés, qu’il a transformé en à peine trois décennies en numéro un mondial de la publicité. La fin du règne de Sorrell est d'autant plus délicate à gérer que celui-ci a fondé un nouveau groupe, S4 Capital, et entend clairement être le poil à gratter de WPP. Il a d’ailleurs racheté MediaMonks dans la foulée, pour 300 millions d’euros, après avoir, selon la nouvelle direction de WPP, préparé le terrain dans les mois qui ont précédé sa démission forcée. Au-delà de la bataille judiciaire qui s’annonce, WPP doit envoyer au plus vite des signaux aux actionnaires et aux clients. Beaucoup estiment que WPP est devenu trop tentaculaire (15,26 milliards de livres, soit 17,24 milliards d’euros, de chiffre d’affaires en 2017, et 134 000 employés) pour être suffisamment efficace et flexible face à des annonceurs eux-mêmes de plus en plus perdus dans la jungle d’un langage désormais plus numérique que littéraire. À peine un mois après sa prise de fonctions, Mark Read a accompli une première étape significative en annonçant la fusion de Young & Rubicam avec l’agence digitale VML.

J.H.

 

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