Communication
On la disait désuète, mais la grand-messe est toujours là. Non plus pour fédérer un public, généralement interne, autour de son message mais un écosystème au centre duquel la marque entend s’installer pour devenir le liant, voire la nouvelle idole.

« À Londres, la grand-messe de Patti Smith et Nick Nave », titrait le Point Pop le 4 juin 2018. Dans son article, la journaliste Carla Peyrat évoque « le sermon dominical » de « la grande prêtresse » Patti Smith sur la scène du All Points East Festival. Un vocabulaire emprunté au registre religieux et une analogie à la grand-messe au sens de « rassemblement » par extension de la messe chantée. Une expression usitée dans les médias et dans la communication événementielle pour exprimer une « manifestation spectaculaire visant à souder l’homogénéité d’un groupe » (Larousse) se traduisant, avant la crise de 2008, par un show off avec une prise de parole du PDG. Un modèle aujourd’hui révolu puisque ne répondant plus aux enjeux sociétaux, au-delà des questions budgétaires et économiques. En effet, l’environnement bousculé par les nouvelles technologies et la transformation dans les entreprises ont profondément modifié les manières de communiquer à son ou ses publics. Mais quoiqu’en disent ses détracteurs, ce modèle n’a pas disparu, il s’est plutôt réinventé.

Multi-formats

À quoi ressemblent donc aujourd’hui les grands-messes? Quelles formes et quels codes régissent ces rassemblements physiques d’une communauté ? « Keynote Apple, Napoléons, CES de Las Vegas, ou encore “la lettre de Jeff Bezos aux actionnaires d’Amazon ”, liste Stéphane Bergny, directeur associé de l’agence Extreme : toutes sont les illustrations de ce qui est mis en évidence depuis un peu plus d’une décennie par les travaux de recherche en sciences de l’information et de la communication. À savoir, l’accession des marques au statut d’idéologies et d’utopies, et le rôle qu’elles se sont attribuées : l’ultime “grand récit” capable de changer les conduites des individus, les relations au sein d’un collectif, les manières de vivre en société. On parle désormais d’événements multi-formats qui cherchent à créer de la surprise, de l’émotion et de l’originalité au regard d’un budget. » 

Des grands-messes qui n’osent plus dire leur nom et prennent aujourd’hui de multiples formes : événements propriétaires (Electric Days, Microsoft experiences, Show Hello Orange, Blend Dates de Nespresso…), salons thématiques (Viva Technology, Paris Games Week, CES…), conférences (Davos, Movin’On par Michelin avec C2…). Elles ont évolué dans leur format (pluriel) et leur(s) contenu(s) pour répondre aux enjeux de transformation de leur écosystème et aux problématiques de communication portées par leur capacité à être amplifiées auprès d’un public plus large grâce aux nouvelles technologies lors de l’événement (streaming live…) et aux réseaux sociaux. 

« Les événements propriétaires récurrents sont plus nombreux car la communication des entreprises n’est plus étanche en raison des réseaux sociaux, explique Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch Groupe. Microsoft experiences (ex-TechDays) accueille 19 000 visiteurs rassemblant différentes populations et touche plus de 50 000 web spectateurs… Il élargit son audience en diffusant ses contenus et en les transformant toute l’année sur sa plateforme en ligne. L’événement live reste une keynote avec la prise de parole du PDG ou un intervenant charismatique, un village où les participants peuvent déambuler de façon ordonnée ou pas. Comme à la conférence Dreamforce (Salesforce) à San Francisco qui casse les codes, pas un angle droit dans l’espace d’exposition. Tout est fait pour créer de la sérendipité lors de sa déambulation.»



Puissance émotionnelle

«L’événement est la seule communication quantique qui produit des effets dès l’annonce de sa programmation grâce aux réseaux sociaux, ajoute Frédéric Bedin. La mise en scène est donc pensée pour intéresser une audience qui va relayer l’information sur ces sites. On entre ainsi dans un processus de mesure d’efficacité et de performance. » Une mesure de la performance inscrite au cahier des charges qui va guider certains choix dans la construction de l’événement. « L’exercice de la grand-messe relève de l’expérience, de l’exceptionnel, d’un moment de partage et de communion, expose Christophe Cousin, président de l’agence Win Win. L’enjeu est d’aligner plaisir partagé et stratégie dont le contenu dépend des objectifs de l’entreprise en termes de ROI. » Les techniques de l’information et de la communication (internet, smartphone…) ont favorisé la diffusion et le partage de contenus. Elles ont également transformé culturellement la manière de consommer de l’information et la capacité d’attention. Ce qui a un impact sur la conception même de la manifestation.

Contenu à valeur ajoutée, pluralité des formats, créativité, mise en scène spectaculaire… les ingrédients sont savamment choisis et dosés au service de la puissance émotionnelle qui caractérise la grand-messe. « La réussite d’un événement, c’est sa puissance qui ne réside pas dans le nombre de participants mais dans la justesse du format, sa taille par rapport au(x) public(s) concerné(s) et à une stratégie de communication précise. Nous sommes dans une institution du live qui répond aux fondements d’unité de temps, de lieu et d’action et utilise tous les langages à disposition, expose Frédéric Bault, vice-président en charge de la création de l’agence Havas Events qui a organisé le lancement de la nouvelle marque Idemia (née de la fusion d’Oberthur Technologies et de Morpho) à la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt) en septembre 2017. « Pour imposer une nouvelle marque mondiale comme le leader de son secteur, il faut de la puissance et un format qui reste dans l’esprit des personnes présentes au show ou devant leur écran. Tout s’est joué avec la mise en scène et le reveal du public interne (14 000 collaborateurs) au public externe (300 invités, journalistes et influenceurs). L’émotion émanant des deux publics a été si forte qu’elle a provoqué l’adoption immédiate de la nouvelle marque. » Alléluia !





 

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