Événementiel
Toujours en quête de reconnaissance auprès des annonceurs, les professionnels de l’événement multiplient les initiatives pour se professionnaliser et clarifier leur rôle. Mais la complexité du métier leur rend la tâche compliquée. Est-ce si grave ?

De tous les métiers de la communication, celui de l’événement est le plus atypique. Longtemps considérés comme parents pauvres, saltimbanques pour les uns, loueurs de chaises ou fabricants de petits fours pour les autres, les professionnels du secteur n’ont pas ménagé leurs efforts depuis vingt ans pour gagner leurs lettres de noblesse tant auprès de leurs clients annonceurs que du monde des agences de communication. Et si la perception du métier par ces derniers a aujourd’hui beaucoup évolué, la route est encore longue.

Il faut dire qu’il n’est pas simple d’être lisible quand on revendique un champ d’expertise allant du petit séminaire de dix personnes à l’organisation d’une Coupe du monde de football, d’un salon de l’agriculture à un défilé de mode, de la production d’une web-série à une campagne d’affichage monumentale. Pas simple non plus d’être lisible quand sa filière agrège, en plus des agences événementielles, une grande variété d’acteurs : exploitants de lieux, fabricants de stands, hôteliers, entreprises de sécurité, traiteurs, free-lances et bien d’autres. « L’événement ne peut exister sans cette capacité à toucher à tout, rappelle Stéphane Abitbol, directeur général de S’cape Événements. Nous élargissons naturellement notre périmètre sur la création de contenu, le conseil, le digital, la technique, la logistique… »

Pas simple enfin quand les agences du secteur affichent des tailles et des organisations différentes les unes des autres et revendiquent toutes une compétence de couteau suisse de la communication, autrement dit d’être capables de répondre à toutes les problématiques d’annonceurs, de l’accompagnement au changement en interne à l’activation de marque dans les médias et en points de vente. « Nos agences couvrent un spectre très large, tant en termes de typologie et de formats – de la célébration interne d’un anniversaire au lancement grand public d’un produit – que de fonction assumée, parfois comme créateur, parfois comme producteur exécutif, observe Cyril Giorgini, président d’Auditoire. L’événement garde une dose d’auberge espagnole. »

« On est vite confrontés au caractère protéiforme de l’outil, de l’animation d’une tête de gondole au CES de Las Vegas, et dont on peine à identifier la cohérence, reconnaît Édouard Auger, directeur général d’Havas Events. Le dénominateur commun reste la rencontre physique. » Au fil des ans, pourtant, le magma événementiel s’est structuré en filière au sein d’Unimev (Union française des métiers de l’événement). Laquelle rassemble aujourd’hui les principales associations et fédérations du secteur, soit 400 adhérents qui revendiquent 85 % de l’activité du marché français en valeur. Cerise sur le gâteau, la filière dispose désormais de chiffres dont un, 8,07 milliards d’euros, représente les dépenses des entreprises en événements corporate. De quoi illustrer et évaluer le poids de la filière dans l’économie du pays et la rendre crédible aux yeux des pouvoirs publics.

La polémique du chiffre

En novembre 2017, à l’occasion du salon Heavent Paris qui réunit chaque année l’ensemble de la filière à la porte de Versailles, Romuald Gadrat, président et fondateur de WeYou Group, a publié un autre chiffre, 24,7 milliards d’euros, près de trois fois supérieur au chiffre officiel ! De quoi faire entrer de facto le secteur dans la catégorie poids lourds de l’économie : « C’est le chiffre d’affaires du secteur de l’événementiel en France, estime Romuald Gadrat. Se limiter à l’activité des événements corporate est une erreur, car l’activité va bien au-delà. Il faut y ajouter les chiffres d’affaires générés par les festivals, les événements sportifs, les défilés de mode, etc. » S’il est a priori une bonne nouvelle pour les acteurs du marché, cette agrégation des données économiques récupérées auprès des différentes instances fait bondir Matthieu Rosy, directeur général d’Unimev : « Romuald Gadrat s’est assis sur un gros travail initié en 2015, prévu dans le contrat de filière “Rencontre d’affaires et événementiel” et qui prévoit le lancement cet automne d’une grande étude de dénombrement et d’évaluation des retombées des événements d’entreprises et institutionnels. Si nous voulons être entendus et crédibles, nous devons être capables de proposer un discours public et politique reposant sur des chiffres solides. »

Au-delà du caractère non concerté de l’initiative de WeYou, c’est la méthodologie utilisée qui fait débat : une simple agrégation de données émanant de ressources diverses, dont les protocoles d’études peuvent varier d’un auteur à l’autre. « Il faudrait une consolidation comptable pour supprimer les “inter-compagnies” et éviter qu’un chiffre puisse être comptabilisé deux fois, par exemple en faisant la somme des chiffres émanant des agences et des palais des congrès [prestataires des agences], explique Frédéric Bedin, président du directoire d’Hopscotch Group. Dans le même temps, ne prendre en compte que les chiffres d’affaires des agences, ou celui des parcs d’exposition, etc. n’a pas de sens car nous sommes une filière complexe et non homogène : nous sommes un peu dans le tourisme, un peu dans le marketing, un peu dans la communication, dans le conseil, le spectacle vivant, le sport, la culture… et c’est d’ailleurs ce qui fait la force et la valeur ajoutée de notre métier. Il faut donc tenir compte de toutes ces données. »

Flou bénéfique

S’ils ne cautionnent pas la méthode, bon nombre d’acteurs du marché partagent néanmoins le point de vue de Romuald Gadrat sur la sous-estimation des chiffres officiels et voient surtout dans ces 24,7 milliards l’occasion d’interpeller les différents ministères concernés par le sujet – Économie, Tourisme, Culture et Affaires Étrangères. « J’essaie de remettre tous les œufs dans le même panier en récupérant les chiffres, mais tous les marchés ne sont pas tous organisés et structurés, plaide le patron de WeYou. Il est clair qu’il existe des doublons qui, au bout du compte, peuvent modifier le chiffre global de 2 à 3 milliards, mais dans le même temps, mes chiffres n’intègrent pas tout. » À ce montant pourraient ainsi s’ajouter tous ceux qui concernent les événements culturels, les manifestations organisées par les entreprises dans leurs locaux ou hors des espaces classiques, ainsi que toutes les retombées indirectes des grands événements, par exemple le ruissellement du festival de Cannes sur l’industrie du cinéma.

Revers de la médaille, en cautionnant, même de façon mesurée, un nouveau chiffre de référence, très éloigné du premier (lui aussi référent), le métier remue la vase et rejoint la case départ sur la question de la lisibilité, dont on finit par se demander si elle peut être un jour résolue… Et dont on finit aussi par se demander si cette quête présente réellement un intérêt ? S’il est vrai que tous les métiers de la communication – publicité, RP, CRM… – ont à l’origine un périmètre assez clairement défini, la convergence des métiers observée ces dernières années les a tous incités à abattre leurs murs pour investir les terrains voisins en revendiquant des compétences multiples, à l’image de l’événement.

De même, si la quête de lisibilité avait pour ambition originelle première d’être plus facilement reconnu par les annonceurs et protégé d’éventuelles concurrences extra-événementielles, les chiffres du secteur montrent depuis des années la bonne santé du marché. Passés le désormais classique manque de visibilité et le niveau de marge modeste comparé aux autres métier de la com, le secteur se porte bien avec un chiffre d’affaires en progression de 4 % en 2017 et une activité qui capte désormais 14 % des dépenses hors médias. Le flou qui caractérise le métier semble en fait lui réussir : « Ce qui est intéressant, dans notre métier, c’est de voir des annonceurs différents ou du même secteur venir nous voir avec des besoins et des visions différentes de ce que l’agence peut leur apporter, constate Cyril Giorgini. L’un nous considérera comme une agence de communication grand public, pour activer sa marque sur une coupe du monde ou un festival, l’autre comme l’agence des grands moments de communication interne… Leur perception de ce que nous savons faire dépend de l’interlocuteur dans l’agence. » 

L’expérience… de l’expérience

Comme tous les acteurs des autres secteurs de la communication, ceux de l’événement ont la conviction d’être les agences de demain. Mais avec quelques bonnes raisons d’y croire. D’abord par le fait d’être historiquement organisés en équipes projet et capables d’agréger une très grande variété de compétences stratégiques, techniques, créatives, technologiques et logistiques : « C’est dans notre ADN, rappelle Édouard Auger. Conscients qu’on ne peut pas être experts dans tout, nous avons dès le départ appris à fédérer un corpus de métiers très différents – édition, PR, shopper, digital… – autour d’une même table. » Ensuite parce que leur fonds de commerce est dans la tendance : « Les annonceurs veulent de l’expérience, or l’expérience est l’essence même de l’événement, rappelle Antoine de Tavernost, directeur général de Live ! by GL Events. Les marques ont besoin de points de contact physique avec leurs publics à mesure que la société se digitalise. » Enfin parce qu’à l’heure où tout semble voué à la disruption – des modèles d’agences, des mix de compétences… – et à l’expérimentation, celui qui sait financer et produire son idée, ses contenus et ses contenants ex nihilo, a forcément un avantage concurrentiel. Reste à espérer que le métier soit assez lisible pour que les annonceurs le voient… 

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