Dossier Nouveaux modèles d'agences
Face à l’atomisation des points de contact avec les consommateurs, les annonceurs ont besoin de partenaires agiles et pluridisciplinaires. Grands groupes comme indépendants s’adaptent à cette nouvelle donne.

Qui veut figurer dans le dossier « Nouveaux modèles d’agences » ? À peu près toute la place de Paris, à en juger par l’avalanche de coups de fils et de mails suscités par cette thématique. C’est à qui sera le plus nouveau, agile, original et « disruptif ». Rien d’étonnant à cela : le passage d’une logique de communication autour du média dominant, qu’était la télévision, à une multitude de points de contact, oblige les annonceurs et leurs agences conseil à se réinventer. Le responsable tient en un mot : le digital. « La télévision entraînait de la déperdition mais, globalement, elle touchait une bonne partie des consommateurs, analyse Guy Chauvel, président de WNP (What’s Next Partners). Les sites, les réseaux sociaux et les applications ont pris une part importante des audiences. Un directeur marketing est aujourd’hui confronté à une dizaine de points de contact possibles, contre seulement trois ou quatre il y a vingt ans. Dès 2011, j’ai compris que, pour exister, il fallait avoir un modèle intégré qui passe par le plus d’expertises possible pour permettre aux annonceurs de répartir leurs budgets. » L’ancien directeur général monde de JWT a créé WNP autour de cette vision, en regroupant la création, la stratégie et les technologies digitales (développement web, UX, data analytics...). À venir : une activité de conseil en innovation et transformation digitale.

Toutes les compétences sous un même toit

Avec 30 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017, en hausse de 40 % sur un an, WNP reproduit à son échelle le mouvement engagé par les grands groupes de communication. Mis sous pression par leur client P&G, qui a déclaré début mars vouloir internaliser le média planning et l’analyse de données, Publicis et WPP sont en plein processus de rationalisation. Le modèle The Power of One de Publicis, dans le cadre de son plan de développement à horizon 2020, vise à rassembler toutes les compétences sous le même toit : expertise des données, création de contenus, conseil en transformation digitale, ceci afin de mieux servir les clients. Mercedes Benz, Marriott, Campbell’s bénéficient déjà de cette organisation. « Nous sommes lancés dans un sprint pour transformer Publicis Groupe d’une société holding en une plateforme », a expliqué Arthur Sadoun, le président du directoire de Publicis Groupe. Avant sa démission le 14 avril, Sir Martin Sorrell, CEO de WPP, numéro un mondial de la publicité, avait affirmé sa volonté de voir ses agences travailler davantage en cohérence, avec des responsables de comptes transversaux.

Cette logique d’intégration des métiers par les géants de la com coexiste avec la présence de petites structures spécialisées. Exemple : Small is Bigger, une équipe courte capable de mobiliser des professionnels expérimentés en fonction des budgets, ou From Paris, une agence fondée par des créatifs qui met en relation marques et artistes. Résultat, « les annonceurs sont perdus, constate Nicolas Gondeau, cofondateur de The Observatory International, un cabinet qui les aide à organiser leurs portefeuilles d’agences. L’offre est pléthorique, tout le monde revendique de faire le métier des uns et des autres, les clients ne savent plus avec qui travailler et pourquoi. »

C’est ce constat qui l’a amené à monter ce cabinet de conseil en choix d’agences dans une logique d’optimisation des budgets. « Il n’y a pas de modèle unique mais il y a de grandes tendances, souligne Amaury Laurentin, directeur de Limelight, groupe BVA, qui a réalisé une étude sur les attentes des annonceurs français en 2017 (lire Stratégies n°1932). Les clients demandent à leurs agences un vrai rôle de conseil, qu’elles intègrent des spécialités ou qu’elles s’entourent de partenaires compétents, freelances ou start-up. Ils veulent sortir de la communication traditionnelle, avec des agences ouvertes sur le monde, qui les accompagnent sur le planning stratégique du début à la fin de la création. Un constructeur automobile ne regarde pas seulement sa concurrence directe mais aussi Amazon ou Google, une agence va avoir cette vision large. Les clients veulent aussi des agences transparentes, comme les restaurants qui ouvrent leurs cuisines, capables de travailler en coconstruction avec eux. »

C'est dans cette logique qu'Havas Paris lancera en juin prochain sa première assemblée générale de clients, l’occasion de leur expliquer ses métiers et de les associer à ses grands choix stratégiques. « On quitte le modèle de création linéaire pour passer en mode collaboratif. Plutôt que des présentations Powerpoint, on organise des ateliers en cocréation avec le client pour gagner en efficacité », abonde Nicolas Gondeau.

BETC et Buzzman, les plus créatives

D’après l’étude BVA Limelight, basée sur les réponses de plus de 400 entreprises, BETC et Buzzman s’imposent comme les agences françaises les plus créatives, cette dernière apparaissant en outre comme la référence en matière de nouveaux modèles. « Sa campagne Milka sur le dernier carré de chocolat, ou celles de Marcel pour Oasis, sont des cas d’école d’opérations test and learn sur lesquelles les annonceurs sont prêts à prendre des risques », souligne Amaury Laurentin. Fred & Farid, Rosapark, Babel, La Chose font partie de cette famille d’agences pluridisciplinaires qui poussent les marques dans leur retranchement. Mais aussi des profils comme Brand Station, Dare.Win, Hungry and Foolish… Et ce sont loin d’être les seuls.

« Le réseau Oliver s’est spécialisé dans la création d’agences hébergées par le client. Déplacer son équipe permet d’éviter l’essoufflement des idées, relève Nicolas Gondeau. D’autres agences réfléchissent à faire évoluer leur modèle économique. Anomaly aux États-Unis génère une part non négligeable de ses revenus en royalties sur des nouveaux produits ou services. Buzzman est dans la même approche avec son entité Productman. La création de contenu et l’influence entraînent l’apparition de nouvelles concurrences comme Vice, Webedia, Octoly, Reech… Sid Lee Paris vient de racheter Yard, un média spécialisé sur les cultures urbaines, ce qui lui permet de maîtriser à la fois l’audience et le contenu. » Entre les grands groupes et les nouveaux entrants, Australie apparaît comme un modèle à part d’agence indépendante qui a su se réinventer avec une culture créative propre : « Des campagnes populaires dans le bon sens du terme », selon son directeur général David Leclabart, et une politique volontariste pour attirer les jeunes talents.

L'enjeu du bien-être au travail

Changer de modèle, c’est aussi s’appliquer à soi-même la souplesse que l’on prône pour ses clients. L’enjeu du bien-être au travail concerne au premier chef la publicité habituée aux « charrettes ». Et cela va au-delà d’installer un baby-foot dans les locaux. Dans le but de fidéliser et d’impliquer ses effectifs, Biborg (25 à 30 % de croissance annuelle sur les derniers exercices) a ouvert son capital à dix collaborateurs. Chez Extreme, 45 salariés sur 200 se sont vu confier six chantiers sur l’avenir de la société (offre, positionnement, new biz, culture client etc.). Chez GloryParis, on explique « pousser à l’ingérence : chacun peut rejoindre des réunions où il n’est pas initialement convié. C’est un moyen de développer la cohésion, mais surtout, d’ouvrir le champ de vision d’un projet. » La Chose se réinvente en collectif pour lisser les egos : plus de fiches techniques à rallonge en signature des campagnes, des équipes resserrées de quatre personnes en compétition, des réunions réduites à 30 minutes…

Dans le cadre de sa transformation d’une agence de RP à une agence de stratégie et communication, Elan Edelman a supprimé le comex au profit d’une douzaine de personnes qui se réunit tous les lundis matins et partage le compte-rendu à l’ensemble des 140 consultants le lendemain. Parallèlement, un « shadow comex » de six personnes, renouvelé chaque année, teste et donne son avis sur les décisions. À l’agence Les Gros Mots, la décision a été prise de décaler la réunion des commerciaux du lundi matin au vendredi. Ainsi, chacun part en week-end sereinement et démarre la semaine sans stress avec sa feuille de route déjà prête. Parfois, l’agilité tient à des idées toutes simples.

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