Nantes, la conquérante
« L’échec de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? C’est forcément une déception pour les milieux économiques, mais il faut rester positif, la croissance va continuer, l’Ouest n’a rien perdu de son attractivité. » Directeur du développement de LMWR, l’une des agences historiques de la ville, Samuel Pineau résume l’état d’esprit des communicants nantais. Tous s’accordent sur le dynamisme de la capitale des Pays de la Loire. « C’est la réalité, Nantes est au-dessus de nous », reconnaît le voisin rennais Benoit Roby, PDG de l’agence Phileas. « Mais c’est le même territoire et nous n’hésitons pas à venir nous battre contre des agences nantaises », prévient-il.
Le dynamisme s’incarne notamment dans l’écosystème digital. « La surenchère en matière de salaires lors des recrutements de profils web en est un signe », souligne Samuel Pineau. Directrice de The Links, autre enseigne établie, Stéphanie Dufour confirme : « Nantes est particulièrement dynamique dans ce secteur, avec un festival annuel, le Web2Day, qui attire pendant trois jours de nombreux experts. »
Ces agences - The Links, LMWR ou encore Notchup - ont assez d’envergure pour conquérir des budgets hors des frontières régionales. « La proportion entre clients locaux et nationaux, voire internationaux, est de 50/50 », note-t-on chez LMWR. The Links, avec une dizaine de start-up du cru, vient même d’inaugurer à Paris un espace de 600 m2 rue de Vaugirard, Le Hangar à Paname, clin d’œil au spot culturel nantais Le Hangar à Bananes. « Ce lieu d’open innovation doit nous permettre d’exporter notre culture », ambitionne Stéphanie Dufour.
Strasbourg, la locomotive
Déjà capitale européenne, Strasbourg est désormais aussi celle d’une vaste région, le Grand Est, qui s’étend des rives du Rhin aux bords de Seine. « Un territoire attractif pour les annonceurs, la proximité de l’Allemagne, le confort de vie et la richesse économique : tous les ingrédients sont réunis pour que Strasbourg soit la locomotive régionale », plaide Thomas Azan, gérant de l’agence alsacienne Good Way. Récemment élu président de l’Union des conseils en communication (UCC) Grand Est, il est bien placé pour savoir que « Strasbourg doit aussi compter avec Metz, Nancy et Reims ». L’Alsace dénombre quelques grosses enseignes, Novembre, Reymann ou Advisa, spécialisée en e-commerce, mais le paysage reste « très éclaté, avec beaucoup de petits acteurs à moins de dix collaborateurs, aux compétences pointues sur le digital, la vidéo, les contenus… », note encore Thomas Azan.
« De plus en plus d’agences parisiennes viennent faire leurs courses ici, reconnaît-il. C’est intéressant pour nous, cela veut dire que nous sommes un territoire actif, mais c’est aussi un formidable défi, car il faut savoir comment on fait pour apporter d’autres solutions. » Frédéric Cronenberger, directeur général adjoint de l’agence Novembre, qui affiche comme référence la fameuse campagne « On est mal de Lidl », relate qu’il est « rare que nous soyons confrontés à nos confrères locaux lors des pitchs ». « Sur de grands enjeux, les compétitions se font plutôt contre des agences de Paris ou de Lyon », avance-t-il, tout en pointant l’obligation de « valoriser la filière » pour éviter que les talents locaux ne partent faire carrière ailleurs.
Lille, la spécialiste
« Aujourd’hui, l’essentiel de notre marge brute - plus de 30 millions d’euros - est réalisée avec des annonceurs comme LVMH, Renault ou Orange. » Ce constat avancé par Jean-Christophe Darcheville, directeur exécutif de Publicis ETO, plus grosse agence au nord de Paris avec 300 collaborateurs, ne doit pas masquer une particularité. Pour les agences de Lille, nouvelle capitale des Hauts-de-France, le secteur de la distribution reste un terrain de jeu privilégié. Chez ETO, les Saint Maclou, Leroy Merlin ou Auchan, constituent une bonne part de l’activité locale. Havas a spécialisé son agence lilloise sur le retail, avec des comptes comme la Foir’Fouille. Le Nord est aussi le berceau des vépécistes.
Le domaine a souffert mais certains, comme La Redoute, ont réussi leur transformation. Preuve en est son rachat récent par les Galeries Lafayette. Cette spécificité n’est pas anodine. Grâce à la vente par correspondance, des agences comme ETO ont développé leur expertise sur la donnée client et sont aujourd’hui expertes en data management. Cela étant, note Fabrice Conrad, directeur général d’Havas Paris, « des budgets comme Decathlon basé près de Lille, sont gérés aujourd’hui par les plus grandes agences parisiennes ».
Localement, sur des budgets moindres, la concurrence est vive avec des agences indépendantes comme DPS, Score DDB, qui a signé la dernière campagne de La Voix du Nord, ou des spécialistes du e-commerce comme Altima, depuis peu dans le giron du cabinet Accenture. Dans ce paysage en pleine mutation, « la pépinière EuraTechnologies est un vivier extrêmement fort de start-up du digital », relève Jean-Christophe Darcheville.
Bordeaux, la prometteuse
L’arrivée de la LGV [Ligne à grande vitesse] l’été dernier a-t-elle fait bouger les lignes à Bordeaux, déjà élevée au rang de capitale de la région Nouvelle-Aquitaine, qui court du Pays basque au Poitou ? Thierry Passemard, directeur-gérant de l’agence locale New Compact (ex-TBWA), livre une réponse de… Normand. « Sur le plan de l’attractivité de la ville, l’effet est positif, cela amène beaucoup de Parisiens et je reçois moi-même chaque semaine quatre ou cinq candidatures spontanées, relève-t-il. Mais au niveau de la demande, on ne ressent pour l’instant qu’un frémissement. »
C’est que l’économie girondine est établie sur des piliers, comme le vin ou la forêt, qui ne sont pas, note le publicitaire, « forcément les plus communiquants ». Odile Basquin, directrice associée de l'agence média Dentsu Aegis Régions, qui a ouvert l’an dernier un bureau à Bordeaux, mesure aussi l’attrait de la ville au nombre de candidatures spontanées reçues. « Mais il n’y a pas ici le tissu d’agences, notamment médias, que l’on trouve par exemple à Lyon », note-t-elle, tout en constatant que « la ville commence à émerger en termes d’attractivité économique ».
Le nouveau quartier d’affaires Euratlantique contribue, avec l’agence Invest in Bordeaux, à cette dynamique. « Nous allons nous-mêmes bientôt nous y installer et partager avec nos partenaires digitaux de l’agence Mediacrossing un plateau de 800 m2 près de la Cité numérique », indique Thierry Passemard, qui salue le dynamisme de l’Association des professionnels de la communication de Nouvelle-Aquitaine (Apacom), qui regroupe pas moins de 600 adhérents.
Lyon, la championne
Lyon, désormais capitale de la nouvelle région Auvergne-Rhône-Alpes, compte quelques belles success-stories, comme celle de l’agence Insign. Née en 2010 de la fusion entre l’agence de communication Kaelia et de sa consœur digitale Visual Link, elle rassemble aujourd’hui plus de 200 collaborateurs répartis entre Lyon et Paris. « On a plus que triplé de taille en cinq ans, essentiellement en croissance organique, et notre marge brute a augmenté de 45 % l’an dernier, à 22 millions d’euros », se réjouit son directeur général, Sébastien Conte. « Nous avons aujourd’hui dix clients actifs contre deux au démarrage du bureau en 2011, et nous comptons huit collaborateurs, dont trois créatifs, contre seulement deux commerciales au démarrage », souligne de son côté Laurie Gouin, responsable à Lyon de l’agence de design parisienne Team Créatif.
C’est que la capitale des Gaules est portée par une économie florissante aussi bien dans le domaine de l’agro-alimentaire que de la chimie ou de l’industrie pharmaceutique. Ajoutez à cette manne un vivier d’étudiants formés à l’Iscom, Sciences Po ou la désormais célèbre EM Lyon, un bassin numérique labellisé French Tech qui organise chaque année une conférence très courue, la BlendWebMix, et vous avez le cocktail d’une ville qui est peut-être, en France, la plus redoutable concurrente de Paris. « Notre positionnement nous permet de recruter des talents parisiens qui ont envie d’une expérience nouvelle », estime Sébastien Conte. « Pour rien au monde je ne retournerais dans la capitale, confirme Laurie Gouin. Ici, on a le cadre de vie et des relations de travail plus sereines et plus détendues. »