Réseaux sociaux
Le Grand Prix de l’engagement client a été décerné au trio BETC, Havas Media et Socialyze pour la campagne «Aimen». Leur pape virtuel a prêché la bonne parole à plus d’un million d’internautes.

Elle a tranché par sa direction artistique, par son scénario aussi sulfureux que novateur, par son jeu d’acteur aussi, avec Jude Law et Diane Keaton dans tous les plans. Elle ne pouvait décemment pas s’arrêter là. La série The Young Pope, créée par Canal Plus, devait également trancher par sa com. Et le trio BETC, Havas Media et Socialyse, réunis au sein du Havas Village, a rendu une copie qui mérite sa statue au Vatican de la pub. Les séries, le groupe a l’habitude. Mais là, ils sont allés plus loin.

La campagne Aimen est citée en exemple dans toutes les conférences qui parlent d’intelligence artificielle et de publicité. « L’idée de départ, était de donner une présence virtuelle à ce pape si charismatique de la série », raconte Benjamin Le Breton, l’un des deux directeurs de création qui ont travaillé sur le projet. « De le faire interagir avec les internautes sur les réseaux sociaux, notamment », ajoute Arnaud Assouline, son acolyte.

Une idée est vite arrivée sur la table, assez simple au départ : jouer avec le côté « moral » de la religion, en taquinant les internautes. Et savourer la confrontation entre les citations tirées de la Bible sur les péchés capitaux et la vile réalité des réseaux sociaux, où chacun parle de son dernier burger ou de son prochain selfie. « Le personnage de la série est justement très ambivalent, avec un discours réactionnaire mais coloré d’un comportement très moderne. Faire ainsi interagir ces textes classiques dans le milieu contemporain du digital collait parfaitement au sujet », continue Arnaud Assouline. Ainsi, la campagne se dessine. Un « pape virtuel » répondra aux internautes en citant la Bible, commentant ainsi leur activité.

Comme un enfant

Reste alors la question du comment. « Le pape revêt une dimension universelle, s’enthousiasme Benjamin Le Breton. Il y a une “puissance papale” que nous voulions retransmettre. Nous voulions lui donner de l’ampleur, toucher énormément de monde. Devenir universel ! Mais même avec une armée de community manager, ce n’était pas possible. L’idée n’était pas de toucher 300 personnes, mais des millions ! » C’est devant cette volonté de faire énormément de volume que l’idée d’automatiser le processus en recourant à de l’intelligence artificielle est venue à l’esprit. Autre argument en faveur du concept : il n’existe pas plusieurs papes, mais un seul, « descendant » de saint Pierre. Le choix des citations à répandre sur le web devait suivre un seul et même schéma de pensée afin de donner au comportement du pape un unique corps, une seule et même manière de réagir, en accord avec le personnage taquin de Jude Law. « Or plusieurs community managers, même bien préparés, présentent toujours des différences, argue Arnaud Assouline. Ils ont chacun leur personnalité et leur répartie. » L’intelligence artificielle est donc venue servir cette idée, mais elle n’en était pas le but principal.

C’est là que le projet devient technique. Après avoir isolé à la main près de 50 000 versets de la Bible, répartis selon les sept péchés capitaux, les équipes ont « formé » une intelligence artificielle, réalisée en partenariat avec IBM Watson. « C’est comme un petit enfant. On le regarde faire, et on lui dit ce qui est bon ou moins bon. Et petit à petit, sa ligne de conduite est en accord avec ce qu’on veut. On la nourrit, en somme, du même schéma de pensée que Jude Law dans la série », raconte Arnaud Assouline.

Analyse sémantique

Comment ça marche ? Le logiciel, baptisée Aimen pour l’occasion, scrute le web au hasard, et repère des tweets liés à des émotions particulières, en ciblant des mots. Avec un travail approfondi d’analyse sémantique, il les classe dans les catégories de péchés capitaux pour tenter de leur approprier un verset. « Aimen met en regard la thématique et le contexte, et tente de comprendre. Si le mot “burger” apparaît, il ne faut pas que ce soit lié à autre chose qu’à la nourriture pour répondre sur la gourmandise », précise Benjamin Le Breton. Au début, donc, tout se fait manuellement et les équipes la nourrissent progressivement. Ensuite, l’intelligence travaille toute seule, mais en off. Ses résultats sont médiocres – logique – et Aimen n’obtient guère plus de 50 % de bonnes réponses. Puis petit à petit, le logiciel travaille de mieux en mieux et atteint les 90 % de réussite. « Notre département technique, qui suivait le projet en continu, a dû modifier de temps en temps l’intelligence, car que statistiquement, Aimen se focalisait plus sur un pêché que sur un autre, alors qu’on souhaitait que tout soit bien réparti. »

Évidemment, il a fallu exclure des champs de scan au sein desquels l’intelligence ne devait surtout pas s’immiscer. « Le but était de créer du divertissement, de l’amusement. Pas du débat, même avec un sujet qui touche à la religion, toujours délicat sur les réseaux sociaux », assume Arnaud Assouline.

Aimen a ensuite été lancé sur Twitter, Facebook et YouTube. Le premier réseau permettait de toucher large et de scanner des mots-clés, donc de cibler des personnes qui ne connaissaient pas la série ou qui ne s’y intéresseraient pas. En revanche, Facebook et YouTube, beaucoup plus ciblée, permettait de mieux atteindre des cibles potentielles, notamment sur les pages de cinéma ou de séries en général.

Forte impression

Pour le faire émerger, le groupe Havas s’est appuyé sur Socialyse, le pure player d’Havas Media spécialiste des réseaux sociaux. « L’idée était brillante. Elle avait un gros potentiel de développement organique. Notre rôle était de la faire émerger à l’instant T, et de l’aider à grandir, raconte Frédéric Saint-Sardos, le directeur général de Socialyse. Le principe, c’est de laisser un peu de temps au départ, pour que le concept monte, et de donner l’impulsion au bon moment, à l’instant où tout le monde s’en empare. Là, ça devient massif. » Socialyse s’est donc appuyé sur la notoriété d’influenceurs. « Nous avons identifié cinq personnes qui correspondait à un univers des péchés capitaux. Nous avons choisi le compte twitter “Jésus”, ainsi que Nabilla, le comédien Jérôme Niel, l’humoriste Ahmed Sylla, et le comédien et scénariste Baptiste Lorber.» Leur rôle était d’amplifier le phénomène en retweetant la réponse du pape. Et d’ainsi donner du crédit au bot créé ainsi que de la visibilité. Tout ceci agrémenté de posts sponsorisés, de pré-rolls YouTube qui revenaient eux aussi sur les péchés capitaux en fonction des vidéos regardées.

Au total, 3 millions d’impressions digitales ont été créées. La campagne média outdoor menée par Havas Media a duré deux semaines. The Young Pope a réalisé le plus gros démarrage pour une série Canal, avec 13,3 % de part d’audience le soir du lancement.

Les chiffres de la campagne

100 000 euros. Investissement en développement de l’intelligence artificielle.

200 000 euros. Investissement médias en display et posts sponsorisés.

4 millions. Nombres de messages scannés par le bot Pie XIII sur Facebook, Twitter, YouTube et Dailymotion.

1 million. Nombre de réponses données.

3 millions. Nombre total d’impressions (earned and paid) réalisées. 

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