Société
Les agences vont-elles être désertées? Les acteurs de la communication, des médias et du marketing ont investi en force les rangs de l'Assemblée nationale. Surtout aux côtés d'Emmanuel Macron, qui jouit d'une cote d'amour importante auprès de cette population. Est-on mieux armé en tant que communicant pour faire campagne? Peut-on faire de la politique et continuer à jouer les patrons?

La cocarde tricolore vient d’être posée sur le pare-brise. Pour son premier week-end dans sa «circo», Bruno Fuchs enchaîne les kilomètres en voiture. En ce samedi midi du 1er juillet 2017, le député de la 6ème circonscription du Haut-Rhin répond aux sollicitions des médias depuis son véhicule. «Là, je vous parle entre deux rendez-vous. Je dois rejoindre un maire de ma circonscription», explique le patron d’Image&Stratégie, agence spécialisée dans la communication publique et corporate.

La même semaine, le 27 juin, l’ex-journaliste faisait sa rentrée parlementaire, tout comme les 577 députés français. C’est à Bernard Brochand, député LR de la 8e circonscription des Alpes-Maritimes et ancien patron de DDB International, qu’incombait d’accueillir les nouveaux élus. Privilège de l’âge: né en 1938, l’ex-publicitaire est le doyen de l’hémicycle. Quel message a-t-il voulu faire passer aux nouveaux serviteurs de la République? «J’ai eu à cœur de rappeler aux nouveaux députés qu’ils incarnaient le cœur de la France. Mais aussi qu’il est important que nous reprenions ce rôle de leadership de démocratie qui est dans notre ADN». On ne se refait pas.

Galvanisés par Macron

Évoquer l’«ADN de la marque France», voilà qui devrait parler à une bonne poignée de nouveaux élus. Car la législature nouvellement élue se signale par une forte représentation de personnalités émanant de la publicité, des médias, du marketing [voir liste]. «En 1981, on parlait de “chambre des profs”, rappelle Jérôme Sainte-Marie, politologue et sondeur français, président de la société d’études et de conseil Polling Vox. C’était frappant: on avait alors vu débarquer une foule d’enseignants avec leur collier de barbe, pas des professeurs de médecine, plutôt des profs de lycée. C’est toute une idéologie qui était représentée dans l'hémicycle.»

Certes, certains groupes ont toujours investi l'hémicycle en masse, rappelle Jérôme Sainte-Marie, «les fonctionnaires ou les médecins, souvent des professions qui sont au contact des autres: pour un médecin, les patients, c’est le noyau de son électorat». Pour ce qui est des publicitaires, c’est la première fois qu’on en compte autant parmi les élus, même si, comme le rappelle Marc Vanghelder, fondateur de l’agence Leaders&Opinions et ex-président d’Euro RSCG Opinions, «il n’y a rien d’anormal pour un communicant à franchir le Rubicon. Se dire qu’après des années de consulting on a envie d’appliquer les recettes qu’on a apprises, c’est une suite parfaitement logique».

Au vu des listes d’élus, nul besoin d’être un politologue averti pour le décrypter: la plupart de ces personnalités se sont engagées dans le sillage d’Emmanuel Macron. Avec, au premier chef, Adrien Taquet, directeur général de Jésus et Gabriel, député de la 2ème circonscription des Hauts-de-Seine, conseiller d'Emmanuel Macron, et à l’origine du slogan «En Marche» [voir encadré]. Détail parlant: sur les treize élus soutenus par LREM à Paris, six ont fait Sciences Po, trois sont passés par HEC et deux par l’Essec. Soit les fabriques des «journaleux», «pubards» et autres «marketeux».

Il suffit de parcourir les réseaux sociaux pour s’en convaincre : Emmanuel Macron galvanise les populations des médias et du marketing. Jérôme Sainte-Marie s’essaie à une chronologie des amitiés particulières entre les politiques et les membres de la société civile: «historiquement, en schématisant à outrance, on peut dégager trois grands mouvements. Chirac s’entourait de grands industriels, Jérôme Monod [Lyonnaise des Eaux], François Pinault [PPR]… En revanche, si on prend la liste des invités de la fameuse soirée d’élection au Fouquet’s, on passe de la grande industrie à la grande finance, mais aussi aux représentants de grands groupes média comme Vincent Bolloré. Ici, avec Macron, on retrouve beaucoup de gens qui pilotent leur petite boîte de com, mais aussi, évidemment, des acteurs de la high-tech.»

Prédestinés

Pour expliciter l’engouement –l’idôlatrie ?– des populations de la com et du marketing pour notre président jupitérien, François Miquet-Marty, docteur de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris et dirigeant de la société d’étude Viavoice, convoque le philosophe des Lumières Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon. «Saint-Simon faisait l’éloge des créateurs, ce qui englobait non seulement les artistes, mais tous ceux qui créent quelque chose. À ce titre, Emmanuel Macron est saint-simonien. L’idée d’Emmanuel Macron, c’est que l’on fait avancer le monde grâce à la créativité et à l’innovation. Cela parle aux acteurs de la communication, tout comme l’adhésion à l’Europe. Et n’oublions pas qu’Emmanuel Macron lui-même est aguerri en terme de com…». Thierry Saussez, vétéran de la communication institutionnelle et publique en France, ne dit pas autre chose: «Les communicants ont estimé qu’Emmanuel Macron était des leurs.»

Moyennant quoi il a, estime Jérôme Sainte-Marie, « envoyé beaucoup de signaux dans la direction de ces professions. Son déplacement –controversé– à Las Vegas pour la French Tech en 2016 allait dans ce sens, en choisissant ces acteurs de la com et de la tech comme incarnation positive de son discours. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec l’élection d’Emmanuel Macron, toute une catégorie sociale a pris conscience d’elle-même ».

Se reconnaître dans les valeurs de la République En Marche, c’est une chose. Mais choisir de prendre son tour de garde républicain, ç’en est une autre. Pour chacun des nouveaux députés interrogés par Stratégies, on pourrait parler de prédestination. Adrien Taquet était, dès sa prime jeunesse, engagé dans le milieu associatif, dans le domaine sportif ou en tant que visiteur de prison. Aurore Bergé, directrice conseil chez Hopscotch et députée dans la 10ème circonscription des Yvelines, militait contre le FN dès ses 16 ans, et s’encartait à l’UMP au même âge. Bruno Fuchs, lui, évoque un parcours en trois temps: «lors de mon premier engagement de journaliste, pendant onze ans au sein de TF1 ou de la Cinquième, j’avais l’habitude d’observer le monde, de le comprendre, de l’analyser. Dans mon deuxième engagement, au sein d’Image&Stratégie [racheté à son fondateur Thierry Saussez en 2009], je jouais l’entrepreneur, en étant soucieux de faire et de développer. Comment suis-je arrivé dans la vie politique? Notamment parce que j’ai beaucoup travaillé dans l’intérêt général, c’est ce qui m’intéressait le plus.»

Des clients chagrins

Une fois le passage à l’acte décidé, un passé de communicant s’avère être, comme on dit dans le verbiage management, «un vrai plus». «Ce sont des gens décidés, qui ont un réseau, se perçoivent comme les éléments les plus dynamiques de la société –une population pas travaillée par le doute», grince Jérôme Sainte-Marie. Thierry Saussez, quant à lui, relève «un avantage considérable –savoir analyser les données, établir des checklists, etc.– et un risque majeur: n’écouter que soi-même, être trop sûr de soi, alors même qu’on a passé son temps à dire à ses clients qu’il ne fallait pas réfléchir seul…»

Aurore Bergé, qui a «mené campagne pendant six mois», avoue des facilités dans «la manière de travailler avec les journalistes, de se présenter soi-même». Bruno Fuchs, lui, a adopté une stratégie au cordeau pendant ses quatre semaines de campagne. «Je n’étais pas connu, avec des adversaires qui m’ont mis dans le rôle du parachuté… J’ai dû déminer le terrain tout en imposant le rôle de l’homme qui représentera l’Alsace plus efficacement que les élus locaux. Nous avons mêlé proximité, en parcourant les 40 communes et en le faisant savoir –notamment grâce à une permanence mobile qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux et généré beaucoup de bouche à oreille– et une stratégie média: je suis le seul candidat d’Alsace à avoir été présent dans deux débats télévisés.»

Du travail de pro… Mais ces professionnels de la com n’auront pour la plupart pas d’autre choix, dans les cinq ans qui viennent, que de raccrocher les gants. «La semaine d’un parlementaire, c’est sept jours plutôt que cinq!, explique Aurore Bergé. De plus, je préfère éviter tout risque de suspicion, éviter que l’on dise que je suis juge et partie ». Adrien Taquet, lui aussi, compte prendre du champ, quant à Bruno Fuchs, il annonce qu’il va céder son agence, «pour des raisons de moralisation de la vie politique». De quoi déstabiliser un certain nombre d'agences, mais surtout, estime Marc Vanghelder, de quoi «chagriner ses clients, dans un métier très intuitu personae».

Mais quitte-t-on vraiment la pub pour la politique sans se retourner? Écoutons plutôt le doyen de l’Assemblée, Bernard Brochand: «Je n’ai jamais reçu autant de messages de félicitations que lors de mon discours à l’Assemblée, plus que quand j’ai inventé “Le contrat de confiance”, pour Darty! s’amuse-t-il. Mais, ce jour-là, alors que j’étais dans l’hémicycle, je pensais à ma vie antérieure que je n’ai jamais oubliée… C’est un métier magnifique, qui donne un vrai pouvoir sur l’imaginaire. Alors que ma vie politique m’a tant apporté, je rêve toujours de faire une grande campagne.» On n’oublie jamais ses premières amours.

«Parlementaire et publicitaire, compliqué de faire les deux!»

Adrien Taquet, directeur général de Jésus et Gabriel, député des Hauts-de-Seine.

«Emmanuel Macron et moi, nous étions ensemble à Sciences Po, mais nous ne nous sommes jamais vraiment côtoyés. J’étais plus proche de Matthias Fekl, ex-ministre de l’Intérieur, qui était dans notre promo. Plus jeune, j’étais engagé dans le milieu associatif au Secours Populaire et aux Restaurants du Cœur, j’ai également été visiteur de prison… Fin 2015, Ismaël Emelien [conseiller spécial d’Emmanuel Macron] m’a proposé de réfléchir avec ses équipes. Comme j’étais le plus “publicitaire” de tous, j’ai trouvé En Marche, d’après les initiales d’Emmanuel. Au premier trimestre 2016, l’agence est rentrée dans la boucle pour préparer le lancement du film internet du mouvement, pour créer la charte graphique… J’ai continué à titre militant et personnel à participer au développement du mouvement alors que l’agence se désengageait. Aujourd’hui, être député me paraît l’aboutissement de mon engagement avec Emmanuel Macron et le prolongement naturel d’une partie de ma vie. J’ai mené campagne en six semaines intenses, mais grâce à mon métier de publicitaire, j’ai des facilités conversationnelles et relationnelles, notre métier, c’est de l’argumentation, mais aussi de la stratégie… Je mets l’élection au-dessus de tout : être conseiller dans un ministère, c’est très bien, mais j’ai toujours idéalisé le suffrage universel. Vais-je rester à l’agence? J’adore mon agence, mais je viens de faire ma rentrée parlementaire et c’est compliqué de faire les deux. Soit on est sur les dossiers soit on n’y est pas. Avec Gabriel Gaultier [fondateur de Jésus et Gabriel], nous sommes des entrepreneurs. Et être entrepreneur, ce n’est pas un jour par semaine, c’est à 100%. J’appréhende mes nouvelles fonctions avec sérieux –et ce n’est pas un élément de langage.»

 

 

Liste des députés de la com et du marketing

Alpes-Maritimes, 8e circ. : Bernard Brochand (LR, Sortant), né en 1938, élu depuis 2001, membre du Club parlementaire sur l’avenir de l’audiovisuel et des médias (CPAA), ancien président de TMP Worldwide et de DDB International.

Bouches du Rhône, 5e circ. : Cathy Racon-Bouzon (REM), née en 1976, directrice de la communication de la marque de jeans Kaporal.

Bouches du Rhône 14e circ. : Anne-Laurence Petel (REM), née en 1970, chargée des relations extérieures à la direction réseau de Bouygues Télécom Méditerranée.

Charente-Maritime 4e circ. : Raphaël Gérard (REM), né en 1968, responsable du Patrimoine et de l’action culturelle d’Hennessy&Co.

Côte-d’Or, 4e circ. : Yolaine de Courson (REM), née en 1954, gérante de Yolandco (conseil en stratégie de marque).

Côte-d’Or, 5e circ. : Didier Paris (REM), né en 1954, directeur des affaires publiques et directeur de la communication, membre du comité exécutif de la SAUR.

Gard, 3e circ. : Anthony Cellier, (REM), né en 1975, directeur de publicité et responsable des grands comptes de NRJ Group.

Haute-Garonne, 3e circ. : Corinne Vignon (REM), née en 1963, ancienne directrice de la communication de la Mutuelle Générale.

Isère, 6e circ : Cendra Motin (REM), née en 1975, ancienne collaboratrice de GL Events.

Loire-Atlantique, 4e circ. : Aude Amadou (REM), née en 1980, responsable d’une agence de communication sportive en banlieue nantaise.

Nord, 9e circ. : Valérie Petit (REM), née en 1976, professeur de management à l’Edhec et directrice d’Edhec Open Leadership for Diversity & Inclusion.

Nord, 19e circ. : Sébastien Chenu (FN), né en 1973, directeur de SC Conseils.

Oise, 1e circ. : Olivier Dassault (LR, sortant), né en 1951, administrateur et ancien vice-président du conseil de surveillance du groupe Valmonde et Compagnie SA (éditeur de Valeurs Actuelles).

Haut-Rhin, 6e circ. : Bruno Fuchs (REM), né en 1959, coprésident d’Image et Stratégie, ancien présentateur du journal de la nuit sur TF1.

Rhône, 6e circ. : Bruno Bonnell (REM), né en 1958, associé fondateur de Robolution Capital, directeur de la publication du site Bodoi.info.

Paris, 2e circ. : Gilles Le Gendre (REM), né en 1958, président d’Explora & Cie, ancien président du directoire du groupe Expansion SA, ex-directeur de la communication de la Fnac, ancien directeur de la rédaction de Challenges.

Paris, 12e circ. : Olivia Grégoire (REM), née en 1978, directrice associée d’iSrat, ex-directrice de la communication et du développement durable du groupe Saint-Gobain.

Paris, 16e circ. : Mounir Mahjoubi (REM), né en 1984, ancien directeur général adjoint de BETC Digital.

Yvelines, 9e circ. : Bruno Millienne (MDM), né en 1959, directeur de la continuité des antennes au sein du groupe M6, ex-journaliste sportif.

Yvelines, 10e circ. : Aurore Bergé (REM), née en 1986, directrice conseil de Hopscotch Global PR Group.

Vendée, 3e circ. : Stéphane Buchou (REM), né en 1977, directeur adjoint d’une société de communication.

Hauts-de-Seine, 2e circ. : Adrien Taquet (REM), né en 1977, cofondateur et directeur général de Jésus et Gabriel.

Hauts-de-Seine, 13e circ. : Frédérique Dumas (REM), née en 1963, productrice, ancienne collaboratrice de François Léotard au ministère de la Culture et de la Communication.

Val-de-Marne, 8e circ. : Michel Herbillon (LR, sortant), né en 1951, directeur du développement et de la communication, ex-consultant pour McKinsey.

Val-de-Marne, 11e circ. : Albane Gaillot (REM), née en 1971, chef de projet digital chez Audiens.

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