Tendance
Le 64e Festival international de la créativité est, comme chaque année, un formidable creuset d'idées, de tendances et d'innovations... Voici quelques pistes à explorer.

Grandes (et bonnes) causes?

En début de semaine cannoise, les Français semblaient déjà être prêts à surpasser largement leurs moissons des années précédentes. Les alcooliques et BETC, les réfugiés et Fred & Farid, les femmes battues et Buzzman, l’enfance en danger et Publicis Conseil, Serviceplan et la sécurité des piétons, Les Gaulois et la maladie des os… Que celui qui n’a pas vu l’éléphant dans la pièce lève la main. Toujours pas?  Ce sont de belles campagnes, qui présentent néanmoins un point commun: elles sont toutes en faveur de grandes causes. Et la question qui nous taraude à la vue de ce palmarès glorieux est simple: où sont donc passés les vrais clients? Mais si, vous savez…, ces campagnes qui vendent du poisson pané Findus, du papier toilette ultradoux Lotus, des fraises Tagada et de l'adoucissant Minidou. Celles que les consommateurs voient pour de vrai (pas à 2h52 du matin un jeudi sur RMC Découverte ou à l’arrière d’un bus au fin fond du Poitou). 

Tous les directeurs de création de la place de Paris ont récemment exprimé leur réprobation, poing levé (clin d’œil à ceux qui imaginent Stéphane Xiberras avec un foulard rouge autour du cou et un t-shirt de Che Guevara sur le dos), pour ces opérations financées ou non par les agences, dont le seul et unique but est de «prendre des Lions à Cannes». 

Voilà qui donne une bonne raison de saluer avant tout les performances de Publicis Conseil pour Renault ou Axa International, DDB Paris pour Play-Doh (aussi parce que celle-là, elle est quand même très chouette) ou BETC pour Air France. Ceux qui ont réussi à vendre une campagne à leurs clients exigents et frileux, à la faire partager à des consommateurs déprimés et à faire adhérer des jurés qui ont vu au moins 520 films avant le leur et ne pensaient qu’à la pause déjeuner. Bref, bravo à ceux qui n’ont pas simplement vendu un spot à une association (qui ne pouvait de toute manière pas s’offrir le luxe de refuser leur proposition) pour redorer leur image de vilains publicitaires.

Le mobile entre smartbot et hacker attitude

Plus que jamais, cette extension de nous-mêmes, communément appelée smartphone, est au centre des discussions et des campagnes présentées à Cannes. Richement doté, le palmarès Mobile en témoigne. Le Grand Prix décerné à «The Family Way» de la société japonaise Recruit Lifestyle pour son produit Seem, une application pour tester la fertilité masculine, couronne une initiative plaçant le mobile au cœur même du projet. Mais plus globalement, et comme le souligne Ivan Beczkowski, président de BETC Digital et membre du jury Mobile, au-delà des nombreuses initiatives brillantes, mais classiques du palmarès, deux tendances ressortent des travaux visibles à Cannes: le développement des bots et les initiatives visant à «hacker» le système. «Sur les quelque 800 cas que nous avons pu voir, 10 à 15% étaient des smartbots, note Ivan Beczkowski. C'est un mouvement qu'il faut suivre de près car, à terme, on pourra faire un bot pour tout et notamment ce qui permet d'aider le public ou le consommateur.» Le Messenger Bot d'Italia Longeva («Chat yourself»), imaginé par Y&R Italia avec Burson-Marsteller Milan, est une illustration parfaite de l'usage de ces nouveaux outils, en l'espèce pour les malades d'Alzheimer. Autre exemple: Botbot, le bot qui fabrique des bots (agence RGA San Francisco) et communique avec ses clients via Messenger. 

L'autre piste qui semble avoir particulièrement inspiré les publicitaires, à savoir la posture du hacker, est une proposition nouvelle qui offre bien des possibilités aux marques. La campagne multiprimée «Like my addiction» (BETC) pour le Fonds actions addictions constitue, dans le genre, une démonstration magistrale. Et les cas ne manquent pas, de «Google Home of the Whopper» de Burger King (David Miami) à «Kiss the Kremlin» pour le projet brésilien SSEX BBOX contre les discriminations sexuelles ou encore «Quest to Legoland» (VML New York), une application géolocalisée offrant aux enfants la possibilité, le temps d'un trajet pour aller au parc d'attraction, de transformer leur voiture en un lieu d'aventures. 

Défi des genres

L’image de cette fillette «fearless» triomphante et fière devant le Charging Bull, célèbre taureau de bronze de Wall Street dont l’agressivité doit prouver la puissance, a fait grand bruit. Les féministes n’ont pas su quoi en penser, l’artiste a demandé à ce qu’on laisse son œuvre tranquille, les internautes ont salué l’initiative… Bref, il ne manquait plus que les associations de protection animale. Cette opération d’une simplicité rare et efficace, qui a notamment remporté le Grand Prix Glass aux Cannes Lions, a été lancée afin de montrer les inégalités persistantes entre les hommes et les femmes à la veille de la Journée internationale de la femme.

Le genre, un vaste sujet qui semble de plus en plus inspirer les publicitaires à travers le monde, particulièrement impliqués dans la place que doit désormais tenir la femme dans la société. En témoigne, en toute logique, le palmarès de la catégorie Glass: «Gender Violence» (Cuamoc, Mexique), «Give Her 5» (The Ammada Trust, Inde), «Undress 522» (Abaad, Liban), «Strong Girls» (Nestlé, Brésil)… Le jury Direct a, de son côté, récompensé «School for Justice», opération de J. Walter Thompson Amsterdam qui a permis à des femmes indiennes ayant été prostituées de force lorsqu'elles étaient enfants de devenir avocates pour défendre celles qui subissent le sort qu’elles ont vécu. Une série de campagnes qui tentent de contrer le sexisme dans des contextes politiques et religieux pourtant très variés. Autre initiative, une dizaine de grandes entreprises internationales (Google, Publicis, Alibaba…) se rassemblent autour d'un projet baptisé «Unsterotype Alliance», qui vise à éliminer les stéréotypes dans la représentation des sexes dans la publicité.

Malgré cette tendance de la femme forte et triomphante, à l’image des questions posées autour de «Fearless Girl», ces initiatives laissent les féministes perplexes. Cette profusion de féminisme défend-elle réellement la cause ou la dessert-elle, faisant passer les femmes pour des êtres fragiles, incapables de se défendre face au mâle dominant? Quoi qu’il en soit, plus de 38 000 personnes ont déjà signé une pétition pour que la fillette courageuse continue de défier le taureau.

Trumpmania

En panne d’inspiration? Pas de panique, il y a… Donald Trump. Depuis un an, le brouhaha médiatique du tonitruant président soulève la mer, les bateaux et les agences… En 2016, les campagnes ont multiplié les références, surtout aux Etats-Unis, et parfois jusqu’à la saturation. Il faut dire que le milliardaire est un puits d’idées. Par exemple, les «alternative facts» et «fake news» (infox en français), charriées avec la présidentielle américaine, ont remis au centre du jeu le thème de la vérité. En réaction à ce climat, The New York Times clamait en février, épaulé par Droga 5, que «la vérité est plus importante maintenant que jamais».

S’il est de coutume que les candidats et présidents américains cristallisent l’univers de la publicité, Trump l'a attiré telle une mouche, et il est devenu de bon ton de lui taper dessus. Dernièrement, Smirnoff expliquait que sa vodka était «faite en Amérique, mais nous serions heureux de parler de nos liens avec la Russie sous serment»… Dans ce flot, les messages opportuns se mélangent aux opportunistes. L’usage de la sulfureuse image de Trump a même agacé des membres du jury PR aux Cannes Lions, où l’on a compté vingt-cinq campagnes autour de ce thème. «C’était frappant, à tel point que nous nous sommes demandés s’il n’y avait pas une catégorie Trump, s’exclame Corinne Got, directrice générale de Hill+Knowlton Strategies et jurée dans cette catégorie. Cela a permis à certaines marques d’affirmer leurs valeurs de façon détournée.»

Et parfois frontalement, comme lorsqu'en début d'année, des PDG tels que Mark Zuckerberg (Facebook), Satya Nadella (Microsoft) ou Tim Cook (Apple) ont dénoncé sur Twitter la politique migratoire de leur président. Pour bien des marques, la «Trumpmania» relève de la tendance, décelée parmi d’autres dans des logiciels d’aide à la décision «data driven». Tant pis si le sujet est lourd d’impacts sociétaux et géopolitiques. On place son embarcation dans le sens du courant et, ainsi, vogue la galère.

Chambre d'écho

Mercredi 21 juin à Cannes, Bob Safian, éditeur du magazine Fast Company, présentait les résultats d'une étude menée avec l'agence de relations publics Ketchum auprès de 500 professionnels de l'univers de la création. Les enseignements de cette enquête devraient inspirer les directeurs de la création et les patrons d'agences, tout au moins concernant leur politique de recrutement. S'ils souhaitent en effet toujours briller, notamment aux Cannes Lions, mieux vaudrait se méfier de ce que l'étude appelle «The Creative Echo Chamber», une expression que l'on pourrait résumer par «trop d'homogénéité tue l'idée».

A une époque où internet et les réseaux sociaux cantonnent bien souvent l'internaute dans une bulle narrative confortant ses propres opinions, le monde de la création publicitaire devrait être vigilant sur sa capacité à se renouveler. Les professionnels semblent en être conscients: 54% des participants à l'étude reconnaissent que cette «chambre d'écho» nuit à la créativité. L'enquête montre ainsi que la diversité des expériences des personnes composant une équipe créative est plus importante que sa diversité ethnique ou sexuelle.

L'éducation, l'origine sociale, les voyages, les engagements personnels, etc., sont autant de paramètres qui devraient être bien plus pris en compte pour privilégier, justement, une palette de profils la plus diversifiée possible. Or, ce n'est manifestement pas le cas: si la majorité des personnes interrogées pensent qu'elles privilégient cette voie, dans les faits, elles ont encore tendance à recruter parmi ceux partageant globalement leurs idées ou ayant une expérience de tel ou tel domaine. 

Sur un plan très pratique, l'étude a révélé que seul 9% des créatifs travaillant sur une campagne visant un public particulier ont eu réellement l'occasion de rencontrer et de travailler directement avec cette cible. Près de la moitié (48%) avoue même ne jamais le faire. En somme, pour être créatifs, sachez vous confronter et écouter ceux qui non seulement ne sont pas de votre avis, mais aussi le conteste. Avis aux téméraires.

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