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Arthur Sadoun, actuel CEO de Publicis Communications, prendra à 46 ans les rênes du numéro 3 mondial de la publicité, succédant ainsi à Maurice Lévy. Portrait.

«The sky’s the limit», a-t-on coutume de dire à Madison Avenue. Dans la galaxie publicitaire, Arthur Sadoun n'est pas loin de toucher les étoiles. A 45 ans, guère plus d'un an après avoir été nommé CEO de Publicis Communications, entité qui réunit les réseaux créatifs du groupe (Publicis, Saatchi & Saatchi, Leo Burnett, BBH, MSL Group, Prodigious…), le voilà officiellement désigné comme le successeur de Maurice Lévy (lire «Une succession en douceur»). Il sera le troisième patron de Publicis depuis sa création en 1926 par Marcel Bleustein-Blanchet. L'annonce n'est pas surprenante, tant le bruit de sa nomination courait depuis de nombreux mois, depuis 2013 notamment lorsqu'il prit la tête du réseau Publicis Worldwide. Mais le principal intéressé, qui a fait jusqu’ici un parcours sans faute, joue profil bas: «Je ne prendrai pas la parole avant le 1er juin.»

Exit donc les concurrents au poste suprême. A commencer par Jean-Yves Naouri, le brillant X-Mines, longtemps dauphin pressenti de Maurice Lévy, qui a finalement été remercié en 2014. Les prétendants anglo-saxons n’ont pas tenu la distance non plus (mais pouvait-on imaginer un instant que Publicis ne serait pas dirigé par un Français?). David Kenny, patron de Digitas, n’a semble-t-il pas eu la patience d’attendre son tour et de gérer une gouvernance à la française par trop complexe. Il quitte le navire en 2010. Laura Desmond, global CEO de Starcom Mediavest puis chief revenue officer de Publicis Groupe, a, quant à elle, démissionné en fin d’année dernière pour raisons familiales… et après que Steve King lui a été préféré pour diriger Publicis Media. Last but not least, Alan Herrick, CEO de Sapient, la dernière acquisition du groupe en 2015, une perle spécialisée dans les services technologiques et numériques. Dans le communiqué du groupe annonçant la nomination d’Arthur Sadoun, son nom n’apparaît pas. Alan Wexler et Chip Register, ses deux lieutenants, reprennent ses fonctions à la tête de Publicis Sapient. Son départ du groupe serait imminent. «Publicis a fait le choix du publicitaire et non celui du consultant technologique. Un constat d’échec par rapport à la direction affichée lors du rachat de Sapient. La convergence entre publicité et technologie n’est manifestement pas évidente», analyse le patron d’un grand groupe concurrent.

Parcours express

La voie ainsi libérée, le 1er juin prochain, Arthur Sadoun se retrouvera donc à la tête d’un groupe présent dans une centaine de pays, employant près de 80 000 personnes et réalisant 9,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires (2015). L’aboutissement d’un parcours météorique. Bombardé à 30 ans directeur général de TBWA Paris par Jean-Marie Dru, il est nommé président à 32 ans. Trois ans plus tard, il est prend la tête de Publicis Conseil. L’ascension s’accélère : en 2009, il devient président de Publicis France, en 2013, CEO du réseau Publicis Worldwide, fin 2015, le voilà promu patron de Publicis Communications. 

Ce parcours express au sein du 3e groupe publicitaire mondial, il le doit d’abord à son succès la tête de Publicis Conseil. «Les premiers mois n’ont pas été faciles, les succès en compétition se faisant attendre, se souvient Jean-Patrick Chiquiar, cofondateur de Rosapark et à l’époque directeur général de Publicis Conseil. Puis un jour, à quelques minutes d’intervalle, nous avons décroché Intermarché et Yoplait. C’est ce qui a lancé la dynamique de l’agence.» Peu avant, l’équipe d’Arthur Sadoun venait de mettre un pied chez BNP Paribas, client de l’ennemi historique Havas.

Après huit ans d’atermoiements où les patrons se succèdent (Yves Gougoux, Jean-Yves Naouri, Christophe Lambert), l’agence historique du groupe reprend enfin des couleurs. «Maurice Lévy a été bluffé par les débuts d’Arthur, qui a coché toutes les cases, raconte un dirigeant du groupe. Il se retrouve un peu en lui, mais en même temps avec des choses qu’il n’a jamais eues: sa fibre publicitaire, son côté people avec Anne-Sophie Lapix [journaliste et épouse d’Arthur Sadoun]…» Philippe Lentschener, fondateur de Beauworld Advisory et président de Publicis France de 2006 à 2009, qui reconnaît ne jamais avoir vu «une telle osmose entre un patron et son second», voit entre eux deux «une relation quasi-filiale».

Un adoubement qu’Arthur Sadoun a aussi gagné à l’énergie, une qualité que l’on peut difficilement lui dénier. «C’est un dynamiteur. Il met une énergie dingue dans tout ce qu’il fait», lance Jean-Patrick Chiquiar. Anne Vincent, actuelle vice-présidente de TBWA France et qui fut sa directrice générale au sein de la filiale d’Omnicom, évoque son «rythme effréné: il bouge tout le temps, il est rarement assis et a un “body language” très actif. Ce n’est pas un bavard, les grands discours, ce n’est pas son truc. C’est un homme d’action, pas du genre à ressasser ou regretter quelque chose.» Revers de la médaille, ce sanguin peut être colérique.

«Customer centric»

Entre autres qualificatifs, celui de «locomotive» revient souvent. Car s’il est une expression qui lui colle à la peau, c’est bien celle de «chef de bande». «C’est un ovni. Il a une capacité exceptionnelle à comprendre les situations et les gens, et à les embarquer avec lui», confie Axel Dauchez, CEO de Make.org, qui lui a succédé à la tête de Publicis France de 2014 à 2016. Un caméléon qui s’adapte à ses interlocuteurs, du patron du CAC 40 au jeune start-uper, mais surtout un dirigeant qui sait s’entourer. Avec une garde rapprochée qui lui est fidèle depuis plus de quinze ans, composée de Valérie Hénaff, présidente de Publicis Worldwide et Publicis Conseil (aussi réflexive et installée dans le temps long que lui est dans l’action et l’instantanéité), et Jérôme Martel, international chief marketing officer de Publicis Worldwide (son alter ego côté développement). «C’est le plus grand recruteur que j’ai rencontré», assure Philippe Lentschener. «C’est un formidable directeur de casting», renchérit Jean-Patrick Chiquiar. Le passage éclair de Grégoire Champetier à la tête de Publicis Active France en 2009-2010 est sans doute l’exception qui confirme la règle.

«Son filtre en matière de recrutement est clair: seuls ceux qui peuvent apporter de la valeur aux clients passent la rampe», note Pierre Désangles, président de Supper et directeur général de Publicis Conseil de 2012 à 2015. L’homme est viscéralement «customer centric». Cela frise l’obsession. Comme à ses débuts chez Publicis où, lors de la compétition sur Intermarché, il n’a pas hésité à aller un samedi à 8heures du matin chez le patron du supermarché d’Angers, il est toujours prêt à mouiller la chemise. «En fait, il est en pitch permanent, il fait sans arrêt des propositions nouvelles», ajoute Pierre Désangles. «Il a ce talent de faire croire à chacun de ses clients qu’il est sa seule et unique priorité», sourit Philippe Lentschener. Même si l’opération de charme ne fonctionne pas toujours auprès des clients anglo-saxons, dixit un manager du groupe. Quoi qu’il en soit, dès ses débuts dans la publicité, Arthur Sadoun a très vite compris que celui qui a le pouvoir est celui qui «tient» le client.

Une conviction dont il ne se départira sans doute pas dans ses futures fonctions, à l’image – là encore – de son mentor Maurice Lévy. Mais «il va devoir passer d’un homme de business à un homme d’entreprise», constate Axel Dauchez. «Parler fiscalité et “goodwill” à des analystes ne s’improvise pas. Il va sans doute apprendre. Mais c’est une personne qui a du mal à fixer son attention et à approfondir un sujet. Il zappe sans cesse. C’est un impulsif qui fonctionne à l’intuition», commente le dirigeant d’une filiale de Publicis Groupe. Il pourra toutefois compter sur… Maurice Lévy. Même si celui-ci a tenu à préciser dans un entretien au magazine britannique Campaign, le lendemain de la nomination d'Arthur Sadoun, «I'll be no backseat driver», on ne l’imagine pas courir les expositions d’art contemporain et les conférences à travers le monde dès sa nomination à la présidence du conseil du surveillance du groupe. Quant aux autres membres du directoire, il peut compter sur leur expérience, à commencer par celles de l’incontournable Jean-Michel Etienne (directeur financier) et du fidèle Steve King (Publicis Media).

Réinventer le métier

Enfin, dernier défi et non des moindres: il va lui falloir mieux appréhender l’apport de Sapient au sein du groupe, une entité de conseil technologique bien loin de l’univers publicitaire. Car c’est bien là l’enjeu clé pour Arthur Sadoun. Au-delà des synergies à développer autour des assets digitaux du groupe, l’objectif est de réinventer le métier des agences de publicité, de trouver un nouveau business model, entre la puissance des géants d’internet et l’expertise des majors du consulting. Avec, sous-jacentes, ces questions centrales: quelle rémunération? Quelle relation entre production et création? Quelle place donnée à la data? Quel avenir pour les agences médias avec l’automatisation des achats?

Entre la tentation technologique et le conseil en stratégie, Arthur Sadoun va devoir trancher. De quoi rapidement redescendre sur terre…

Dates clés

23 mai 1971. Naissance à Dourdan (Essonne).
1992. Création de l’agence Z Group au Chili.
1997. Vente de sa société à BBDO.
1998. MBA à l'Insead.
1999. Recruté par Jean-Marie Dru comme planneur stratégique chez TBWA Paris.
2001. Directeur général de TBWA Paris.
2003. Président de TBWA Paris.
2006. Président de Publicis Conseil.
2009. Président de Publicis France.
2011. Directeur général de Publicis Worldwide.
2013. CEO de Publicis Worldwide.
Décembre 2015. CEO de Publicis Communications.
Juin 2017. Président du Directoire de Publicis Groupe.

Une succession en douceur

Arthur Sadoun, président de Publicis Communications, succédera à Maurice Lévy à la présidence du directoire de Publicis Groupe à compter du 1er juin 2017. Ce dernier, qui fêtera ses 75 ans le 18 février, prendra la présidence du conseil de surveillance, actuellement occupée par Elisabeth Badinter, principale actionnaire avec 7,5% du capital et fille du fondateur Marcel Bleustein-Blanchet. Steve King, actuellement CEO de Publicis Media, rejoint pour sa part le directoire aux côtés de Jean-Michel Etienne, directeur général adjoint, chargé des finances, et Anne-Gabrielle Heilbronner, secrétaire générale. Ces nominations seront soumises au vote des actionnaires lors de l’assemblée générale du 31 mai 2017.
 

Verbatims

«C'est un homme de qualité qui est désormais à la tête de Publicis. Son ascension rapide, dont nous avons été témoins chez TBWA, atteste de ses nombreux talents. Je lui souhaite tout le succès qu'il mérite.» Jean-Marie Dru, Chairmain TBWA Worldwide

«Il est face à deux enjeux: la manière dont il va s’entourer – il va vite comprendre que ce n’est pas l’histoire d’un homme – et la manière dont il va tenir l’international, en particulier les Etats-Unis.» Mercedes Erra, présidente exécutive d'Havas Worldwide et cofondatrice de BETC
«Que Maurice Lévy reste dans les parages va permettre de limiter les pertes de connaissance et de savoir-faire du groupe. C’est rassurant, car Arthur a un profil communication et publicité, il incarne le fait que la création reste le moteur de notre métier. La data sans intelligence, ce n’est rien.»Vincent Leclabart, président de l’AACC et d’Australie

«Il ne laisse pas indifférent. Il est charismatique, avec une autorité naturelle tout en étant très accessible. Il apprend vite, et c’est certainement pour cette raison qu’il en est là aujourd’hui.» Valérie Hénaff, présidente de Publicis Worldwide et Publicis Conseil

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