Communication politique
Emmanuel Rivière, directeur du pôle Public Affairs de TNS-Sofres, et Edouard Lecerf, directeur politique et opinion de TNS (Kantar) décryptent pour Stratégies les clivages révélés par le vote pro-Brexit et ses correspondances et distinctions avec le profil des électeurs Français.

Quels sont les points communs entre l'électeur pro-Brexit et l'électeur Français?

Emmanuel Rivière et Edouard Lecerf. Les clivages apparus avec le référendum britannique correspondent de manière frappante à ceux qui déterminent les comportements politiques en France, s’agissant des clivages sociaux et géographiques, tels qu’ils ont été révélés par la percée puis l’installation du vote Front national. C’est beaucoup moins vrai concernant le clivage d’âge et la vision qu’ont les Britanniques et les Français de l’avenir de leur pays sans l’Union européenne (UE) et leur attachement à l’Europe.

 

Sur quels clivages s'est déterminé le vote pro-Brexit?

ER et EL. Au Royaume Uni, le référendum sur l’Europe a révélé deux profils d’électeurs qu’on peut schématiquement résumer entre le pro-Brexit, âgé, Anglais, souvent rural, plus contraint économiquement et moins diplômé que la moyenne, et le pro-Remain, jeune, urbain, souvent Ecossais ou Nord-Irlandais et plus à l’aise économiquement. Cette différence de profils d’âge a d’ailleurs conduit les jeunes Britanniques à considérer que les plus âgés leur avaient confisqué leur avenir. Il est vrai que si les jeunes générations s’étaient autant mobilisées que les plus âgées (dont la participation a été plus de deux fois supérieure), le résultat final aurait pu être tout à fait différent. Les motivations distinguent également les deux électorats britanniques. Les partisans de la sortie de l’Union Européenne ont mis en avant leurs craintes liées à l’immigration et leur souhait de retrouver une «souveraineté britannique» et de nouvelles marges de manœuvre, notamment dans la santé publique. Les soutiens au «Bremain» disaient leur confiance dans les bénéfices économiques d’un Royaume-Uni ouvert et l’importance des échanges au sein d’une Europe.

 

En quoi le clivage d'âge en France est-il différent?

ER et EL. En France, le clivage d’âge n’est pas du tout similaire à la Grande-Bretagne, au moins au regard de ces questions: les générations les plus âgées sont les plus fidèles aux partis de gouvernement, et les moins tentées par les choix «rupturistes».

 

Peut-il y avoir en France une tentation pour le «Frexit»?

ER et EL. Le climat politique extrêmement dégradé de notre pays pose la question de ce que feraient les citoyens français s’ils avaient à choisir entre le maintien et la sortie de l’UE. Nos concitoyens qui, par référendum, ont nettement rejeté le Traité constitutionnel en 2005, vouent une méfiance qui s’accentue à l’égard de la plupart des institutions. Et le jugement des Français sur l’UE n’est pas loin de paraître aussi sévère que celui de nos voisins Britanniques. Dans le dernier Eurobaromètre (EB84, automne 2015), 30% font confiance à la Commission européenne, soit à peine 6 points de plus que ce qui est mesuré outre-Manche. Dans ce contexte, la tentation de se saisir d’un scrutin, quel qu’il soit, pour manifester son mécontentement pourrait être grande. Les Français l’ont déjà fait lors des Européennes en 2014.

 

Quel rapport nourrissent les Français et les Britanniques à l'égard de l'Union Européenne?

ER et EL. Il faut comprendre que si les Français partagent avec les Britanniques (surtout Anglais et Gallois) une défiance à l’égard des institutions de l’Union européenne, ils s’en distinguent dans les inquiétudes qu’ils nourrissent sur l’avenir de leur pays. Alors que 47% des Britanniques considéraient que la Grande-Bretagne s’en sortirait mieux hors de l’UE (selon l’Eurobaromètre de fin 2015), ils n’étaient que 32% de Français à croire aux chances de leur pays dans ce contexte. C’est une raison négative de réfréner les tentations aventureuses et de repousser le Frexit. Il en existe aussi une positive. Le niveau d’attachement à l’Europe (61%) est de 10 points supérieur en France qu’en Grande-Bretagne. Les Français sont aussi plus nombreux, de 15 points (66%), à estimer que leur voix compte en Europe, et quand 66% des Britanniques affirment n’avoir qu’une seule nationalité, 60% des Français se disent à la fois Français et… Européens.

 

Quelle place aura cette question de la sortie de l'Europe dans la campagne présidentielle de 2017 ?

ER et EL. Le Brexit pourrait trouver des échos récurrents en France. La manière dont les principaux acteurs politiques se sont emparés du sujet ne trompe pas. Et cela fait sens, car le Brexit ou le fantasme d’un «Frexit» soulèvent des questions de fond. La plupart des sources d’inquiétude des Français concernent notre rapport au monde: mondialisation, délocalisation, immigration, identité, terrorisme, grandeur et influence de la France, danger climatique. Or, l’Europe est notre interface avec le monde, et s’impose au cœur du débat présidentiel. A cet égard, alors que les deux principaux partis, et singulièrement le Parti socialiste, sont divisés sur la question européenne, le Front national semble avoir tout intérêt à surfer sur la vague du Brexit. Ce qui peut s’avérer une fausse opportunité, car il n’est pas sûr que la perspective d’une sortie de l’UE soit si séduisante pour les Français comme le disent les sondages. Les Français doutent des perspectives de la France sans l’Europe et expriment des émotions positives autour de l’Europe, ce qui assurément a fait cruellement défaut à la campagne du « Remain ».

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.