Dossier Etudes
Devant la déferlante de la data et l'apparition de nouveaux concurrents, les instituts d'études se repensent. Une nécessité qui passe par l'automatisation de la collecte de données et une séniorité accrue dans le conseil et l'expertise.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’expression fait réagir, voire bondir. L’ «ubérisation du marché des études», avec l’apparition d’offres, comme Google Consumer Survey, ou d'acteurs indépendants, comme Survey Monkey, déchaîne les passions. «Le sujet est complètement d’actualité, notamment dans le domaine de la collecte, territoire de référence durant de longues années, où de nouveaux acteurs, que ce soient Google ou des start-up, proposent un accès à l’information directe», résume Stéphane Truchi, président du directoire de l’Ifop. «Je ne sais pas si on peut parler d’ubérisation, nuance le codirecteur général de BVA Pascal Gaudin, En revanche, la nécessité de réorganiser nos métiers et notre offre de compétences est une certitude.» «Se pose la question des business models: c’est la rentabilité des instituts d’études qui est en jeu», ajoute Ketty de Falco, directrice générale de CSA.

Automatisation et accélération

Au centre des mutations qui affectent les instituts d’études, leur cœur de métier: la collecte de données. «Le métier de simple sondeur est en crise, disposer des données n’est plus suffisant», explique Pascal Gaudin. «Notre métier, qui a plus d’une cinquantaine d’années, a bâti son histoire sur la rareté de la denrée informative et la promesse de produire cette information, rappelle Dominique Lévy-Saragossi, directrice générale France d’Ipsos. Aujourd’hui, nous sommes confrontés aux alternatives d’accès à cette information, à la gestion de l’abondance et à la métabolisation de l’information.»

Tous s'orientent vers l’automatisation de la production de données. «Il s’agit de libérer à nouveau du temps d’intelligence, c’est pourquoi nous avons monté un outil de “do it yourself”, avec des résultats benchmarkés au bout d’une quinzaine de jours, presque sans intervention humaine», annonce Luc Balleroy, directeur général d’Opinion Way.

L'automatisation va de pair avec son accélération, ce que l’on appelle le «rapid research». Millward Brown a ainsi lancé un outil, baptisé Link Now, qui permet, comme l’expose Jean-Michel Janoueix, CEO France du pôle consumer insights de Kantar (WPP), qui regroupe TNS Sofres et Millward Brown, «de lancer une étude depuis son bureau, tandis que chez TNS, Seven permet d’obtenir un résultat en sept jours». «Les solutions d’automatisation nous permettent de répondre aux questions de vitesse et de temps réel que nous demandent nos clients», explique Nathalie Perrio-Combeaux, cofondatrice et coprésidente d'Harris Interactive, qui a lancé en 2015 Chrono 24, son offre de rapid research. Incontournables, ces nouvelles offres? «Tous les grands appels d’offres intègrent le rapid research, remarque Dominique Lévy-Saragossi, qui souligne néanmoins que «ces nouvelles études ne constituent pas une révolution dans le marché des études, pas plus que le GPS n’a révolutionné le marché de l’automobile. Les études faites en 24 heures restent traditionnelles dans leur méthodologie.»

Intégrateur de données

Si l’apparition de ces nouvelles méthodes de collectes ne bouleverse pas les instituts d’études de fond en comble, le tsunami de la data le secoue bien davantage. «Le mot-clé, c’est l’intégration, résume Stéphane Truchi, de l'Ifop. La data d’aujourd’hui, c’est le datamining d’il y a vingt ans. C’est avant tout un gros travail de synthèse, de bon cheminement de la data qui nous est demandé.» «Nos clients disposent de foules de données dont ils ne savent quoi faire. Nous devons être intégrateurs de tout cela», souligne Jean-Michel Janoueix, de Kantar.

A nouvelles données, nouvelles méthodes: «La data entraîne la création de nouveaux livrables, qui ont recours à la datavisualisation et aux animatics», explique Nathalie Perrio-Combeaux, d'Harris Intercative. Après les statisticiens, de nouveaux profils sont chassés par les cabinets d’études, ainsi les data-analysts et data-scientists.

Impossible de contourner la déferlante: l'institut CSA, qui a intégré le groupe Havas en octobre 2015, a mis, comme le rappelle Ketty de Falco, sa directrice générale, «le cap sur la data en intégrant en janvier les équipes de 2MV Data Consulting». Chez Ipsos [qui vient de lancer avec S4M un post-test pour mesurer l'éefficacité des campagnes mobiles], Dominique Lévy-Saragossi annonce «la constitution d’une équipe autour de la data-science courant avril».

Mais alors que la production de données s’automatise, s’accélère, l’exigence d’expertise n’a sans doute jamais été aussi forte, besoin de valeur ajoutée oblige. «Nous formons tous nos collaborateurs au storytelling, avec un accent sur la prospective via notre rapprochement avec l'agence de tendances et de détection d'innovations crowdsourcées Soon Soon Soon», précise Luc Balleroy, d’Opinion Way. «Notre cœur de métier, c’est l’insight, l’analyse, rappelle Pascal Gaudin, de BVA. Mais nous développons aussi des compétences comme le CX [consumer experience], le quality monitoring [démarche visant à améliorer la qualité de service], au sujet duquel nous réalisons une acquisition en cours de finalisation pour la fin avril, ainsi que le nudge [coup de pouce pour aider les individus à faire un choix], qui constituent nos grands enjeux 2016.»

Expertises sectorielles

Parallèlement, les demandes de séniorité, d’expertise sectorielle, se font de plus en plus prégnantes. «Le sectoriel est fondamental», estime Ketty de Falco, de CSA, qui revendique «une organisation en douze secteurs». «Pas d’expertise des domaines marketing et de connaissance sectorielle sans séniorité», lâche Jean-Michel Janoueix. «Aujourd’hui, il s’agit d’apporter de l’éditorialisation et de l’accompagnement. Tout cela nécessite de la séniorité», relève également Dominique Lévy-Saragossi, d’Ipsos, qui a lancé en septembre 2015 sa structure de conseil, Ipsos Advise. Un positionnement résolument adopté par Elabe, nouvelle société créée par Bernard Sananès (ex-CSA et Euro RSCG C&O), qui allie études, planning et conseil.

«Finalement, le fond de notre ADN reste le même», estime Pascal Gaudin. Stéphane Truchi, de l’Ifop, reste lui aussi résolument optimiste: «Je ne suis pas anxieux, il ne faut pas s’arc-bouter sur de vieilles notions. Les nouvelles données vont enrichir notre métier, pas l’appauvrir.»

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